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Rente infra-marginale et transfert de propriété intragroupe

L’année 2022 se rappellera sans doute à la mémoire des juristes du secteur de l’énergie, chaque fois qu’on leur parlera de clarté et d’intelligibilité de la loi.

L’ingéniosité législative était déjà remarquable avec l’article 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, qui a instauré le mécanisme de prix seuil auquel sont désormais soumis les contrats de complément de rémunération dont la bidirectionnalité est plafonnée. Mais l’article 54 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, qui crée la contribution sur la rente infra marginale de la production d’électricité, est également si ce n’est plus complexe.

Un manuel pourrait être consacré à l’étude de ces deux articles, et votre serviteur n’est pas fiscaliste, aussi le présent papier a pour modeste ambition de livrer quelques éléments de réflexion concernant un uniquement élément de la loi de finances pour 2023.

Echange d’électricité intra-groupe. Le 5) du C) du IV de l’article 54 de cette loi prévoit que « Lorsque les revenus sont échangés directement entre entreprises relevant d’un même groupe : 1° Ceux se rapportant à l’électricité consommée par une entreprise de ce groupe sont exclus des revenus de marché ; […] ».

La bonne appréhension du champ d’application de cette exclusion est fondamentale car elle permet de ne pas imposer, au titre de la contribution infra-marginale, l’échange d’électricité entre sociétés du même groupe en vue de sa consommation par l’une d’elles.

Ainsi, un groupe d’entreprises disposant d’une filiale de production aurait d’autant plus intérêt qu’en temps normal, à consommer elle-même l’électricité produite plutôt que la vendre sur les marchés de gros ou à d’autres consommateurs. Autrement dit, lorsque la vente d’électricité rapporte moins que ce qu’elle coûte au consommateur, autant l’utiliser pour ses propres besoins.

Intermédiation d’un fournisseur. Le même point 5) de préciser quatre alinéas plus loin : « Aux fins du premier alinéa du présent 5, lorsque l’entreprise cédante n’est pas un fournisseur, est assimilé à un échange direct avec l’entreprise cessionnaire le contrat conclu entre ces entreprises et un fournisseur d’électricité assurant la fourniture de la production d’électricité du cédant au cessionnaire à des conditions économiques intégralement déterminées par ce contrat ».

On perçoit ici un objet juridique qui a émergé ces dernières années et dont l’utilité est exacerbée par les prix élevés de l’électricité : le sleeved corporate power purchase agreement. C’est-à-dire la vente d’électricité d’un producteur identifié à un consommateur identifié, avec un fournisseur intermédié.

Cela concerne donc producteur(s) et consommateur(s) d’un même groupe d’entreprises qui ne souhaitent pas procéder à un échange direct d’électricité. Parmi les raisons expliquant cette volonté on pourra bientôt compter l’obligation d’obtenir une autorisation de vente directe en application de l’article L. 333-1, 2°, du code de l’énergie, un autre exemple de simplification législative.

Dans ce cas, producteur(s) et consommateur(s) feront donc appel à un fournisseur qui s’intermédiera entre eux pour assurer l’équilibrage voire la fourniture des flux d’électricité « du cédant au cessionnaire ».

Preuve de l’échange intermédié. C’est à cet instant que les lecteurs de la loi de finances ayant quelque notion de physique s’interrogent sur la manière de vérifier que le fournisseur assure bien la livraison de l’électricité produite par la centrale vers le site de consommation… et qu’ils sont assaillis de doutes.

On sait certes que l’électricité – vecteur énergétique – est par fiction juridique considérée comme un bien meuble corporel. Sa mise à disposition contre rémunération est assimilée à une vente et sa consommation frauduleuse à un vol.

Mais la difficulté tient à son caractère fongible c’est-à-dire qu’il s’agit d’une chose de genre, se confondant avec l’énergie électrique injectée sur le réseau à un instant donné. Dès lors que la centrale est connectée au même réseau que d’autres installations de production, comment donc identifier la provenance exacte – par point d’injection – de l’électricité consommée à un point de soutirage ?

Une fois n’est pas coutume, le droit trouvera grâce aux yeux des opérationnels, en résolvant un problème physique au lieu de créer une difficulté dont ils se seraient bien passés ! Le Conseil d’Etat a en effet considéré – au regard des éléments qui lui étaient apportés – que la preuve du transfert d’électricité d’un point à un autre du réseau n’est pas impossible, dans une décision commentée dans un précédent article. On suppose implicitement à sa lecture qu’il s’agit de la preuve du transfert de la propriété – et non de la possession qui, elle, ne saurait être apportée.

A suivre ce raisonnement, non seulement cette preuve du transfert de propriété est valable en cas de vente directe, mais elle devrait également l’être en cas de vente indirecte. C’est-à-dire si les contrats entre les différentes parties prévoient, comme c’est usuellement le cas d’un sleeved CPPA, que la propriété de l’électricité produite par le producteur A, sera cédée au fournisseur B – et donc entrera dans son patrimoine (une fiction encore une fois, l’opération étant physiquement instantanée) – qui la cèdera à son tour au consommateur C.

C’est précisément la situation qui semble envisagée au dernier alinéa du point 5) du C) du IV de l’article 54 de la loi de finances pour 2023. Ou comment une décision du Conseil d’Etat de 2022 sur la CSPE et les garanties d’origine trouve un intérêt dès 2023 avec la contribution sur la rente infra-marginale de la production d’électricité.

Les physiciens diront par une citation apocryphe que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… les juristes répondront necessitas cogit legem.

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