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CSPE, garanties d'origine et preuve du lien production-consommation

Dans une décision du 2 mars 2022 (Société Bellevue Distribution, n° 443883), le Conseil d’Etat juge que l’acquisition de garanties d’origine émises par les exploitants d’installations de production d’électricité situées dans un autre Etat membre de l’Union européenne ne suffisait pas à obtenir un remboursement de l’ancienne contribution au service public de l’électricité (CSPE).

Dans cette décision, qui s’inscrit dans la série de contentieux portant sur la CSPE (1) le Conseil d’Etat considère qu’il est possible de prouver juridiquement l’origine de l’énergie consommée sous forme électrique (2). Ce raisonnement ouvre des réflexions intéressantes au-delà du contentieux CSPE, sur la tarification de l’accès aux réseaux et les boucles locales (3).

1 – Retour sur les contentieux CSPE.

Cette décision se situe dans la continuité de l’abondant contentieux relatif à la CSPE.

2 – Le raisonnement du Conseil d’Etat.

La CSPE ayant partiellement eu pour objet de financer les aides d’Etat aux énergies renouvelables jusqu’en 2015, la demanderesse a tenté d’obtenir le remboursement de la portion correspondante, le ayant acquis auprès de son fournisseur un volume de garanties d’origine équivalent, issues d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

Cette demande de remboursement de CSPE était fondée sur l’ancien article L. 121-22 du code de l’énergie, qui prévoyait que « Les consommateurs finals d’électricité acquérant de l’électricité produite à partir d’une source d’énergie renouvelable (…) dans un Etat membre de l’Union européenne peuvent demander le remboursement d’une part de la contribution acquittée en application de l’article L. 121-10 pour cette électricité lorsqu’ils en garantissent l’origine ».

L’article 14 bis du décret du 28 janvier 2004 relatif à la compensation des charges de service public de l’électricité précisait que « Un consommateur final d’électricité, installé sur le territoire national, qui acquiert de l’électricité produite dans un autre Etat membre à partir d’une source d’énergie renouvelable ou par cogénération, peut demander le remboursement d’une partie de la contribution qu’il a acquittée au cours de l’année d’acquisition de cette électricité, dès lors que l’électricité en cause bénéfice d’une garantie d’origine. »

Le Conseil d’Etat confirme la décision rendue en appel (CAA Paris, 9 juillet 2020, société Bellevue Distribution, n° 18PA02562) et considère au regard de ces dispositions que l’acquisition de garanties d’origine n’est pas suffisante pour bénéficier d’un remboursement de CSPE : il faut également démontrer que l’électricité a été produite dans un autre Etat membre.

Pour comprendre le raisonnement sous-tendant cette double condition, deux rappels sont nécessaires.

Pour ces deux raisons – intraçabilité physique de l’énergie électrique injectée sur le réseau public et décorrélation entre garantie d’origine et source physique de l’énergie électrique produite –, la demanderesse a considéré qu’on lui demandait d’apporter une preuve impossible. Le Conseil d’Etat a balayé l’argument : « il ne ressort ni des éléments produits devant les juges du fond ni de ceux qui ont été produits dans la présente instance [que les dispositions relatives au remboursement de CSPE] imposeraient de produire une preuve impossible ».

La preuve du transfert de possession de l’intégralité du flux d’énergie d’un site de production à un site de consommation sur le réseau public étant physiquement impossible, le Conseil d’Etat semble demander la preuve du transfert de propriété entre producteur et consommateur – voire d’une chaîne translative pour une énergie juridiquement identifiée – et probablement la corrélation des volumes injectés et soutirés sur le réseau public.

3 – Apports de la décision au regard des enjeux actuels du secteur de l’énergie.

A suivre le raisonnement du Conseil d’Etat, les contrats d’achat d’électricité liant un producteur renouvelable situé dans un autre Etat membre et un consommateur final situé en France – couramment dénommés « green corporate PPA transfrontaliers » – satisferaient aux conditions précisées par la Haute juridiction.

Toutefois, les dispositions susmentionnées relatives au remboursement de CSPE n’existent plus : celle-ci a été fusionnée avec la TICFE en 2016 et abonde le budget général de l’Etat. La solution dégagée par le Conseil d’Etat en matière de CSPE n’a donc qu’un intérêt limité.

Pour autant, des applications ne sont pas exclues pour les enjeux actuels du secteur de l’énergie. Au-delà de la satisfaction des producteurs et consommateurs en boucle locale, le débat pourrait atteindre la tarification de l’usage des réseaux électriques, ou encore la comptabilisation du mix électrique local dans les bilans des émissions de gaz à effet de serre (BEGES).

D’abord, les consommateurs – collectivités mais également entreprises et particuliers – s’intéressent à leur approvisionnement énergétique pour des raisons environnementales. La transmission de garanties d’origine n’est plus suffisante et des fournisseurs développent des offres locales, tandis que des projets de boucles locales avec corporate PPA voient le jour. Malgré l’absence de traçabilité physique des flux, la preuve juridique du lien entre production et consommation d’énergie sera sans doute appréciée par ces consommateurs et mise en avant par les fournisseurs s’approvisionnant par merchant PPA.

En outre, les consommateurs en mesure de prouver juridiquement que leur consommation d’électricité a été produite au sein de la même boucle locale – par exemple sur une même branche du réseau basse tension – pourraient être tentés de demander une adaptation du tarif d’utilisation des réseaux publics au nom du principe d’équivalence. C’est la logique derrière l’article L. 315-3 du code de l’énergie qui a conduit à la mise en place par la CRE d’une tarification avec flux alloproduits et autoproduits pour l’autoconsommation collective. Une différenciation tarifaire aussi fine requiert toutefois des profils particuliers de production et de consommation – elle est ainsi peu utilisée pour l’autoconsommation. Le régulateur et les gestionnaires de réseaux seront probablement réticents à une différenciation tarifaire par boucles locales, afin de protéger la solidarité nationale et la péréquation tarifaire.

Enfin, se posera la question des modalités de prise en compte des boucles locales de production et de consommation d’électricité pour la réalisation des BEGES. Actuellement, toute consommation soutirée du réseau public est prise en compte de manière identique – à l’échelon national – dans le cadre des BEGES. L’émergence de boucles locales, non seulement par autoconsommation collective étendue mais plus largement par tout corporate PPA entre producteurs et consommateurs locaux, interroge nécessairement sur les émission de GES évitées : report ou évitement du renforcement des réseaux, pertes moindres via l’effet joule, mix électrique local moins carboné en raison de la moindre sollicitation du réseau amont. L’enjeu sera alors de prouver et mesurer ces évitements.

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