Dans une série de trois articles, le cabinet commente une sélection de décisions publiées dans les feuilles roses du Conseil d’Etat du mois d’octobre 2022, afin de les mettre en perspective avec le secteur de l’énergie.
Le premier commentaire concernait l’annulation d’une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) relative aux obligations des responsables d’équilibre. Le deuxième commentaire avait pour objet les sanctions administratives.
Ce troisième article porte sur les recours visant à imposer à l’administration d’adopter des actes d’application lorsque sa carence excède un délai raisonnable.
Par une décision Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie du 7 octobre 2022, le Conseil d’Etat affine l’office du juge lorsqu’il statue sur un refus de l’autorité administrative d’édicter un acte pourtant prévu par un autre texte.
Des carences multiples. Ces situations sont nombreuses dans le secteur de l’énergie. On peut notamment citer :
Des causes protéiformes. La cause de ces carences est parfois politique. On pense ainsi au calcul de l’ARENH ou aux réseaux fermés de distribution.
On peut aussi évoquer l’inflation normative, qu’elle soit législative ou réglementaire. Elle fait l’objet d’un suivi annuel dont les pages 27 et 28 – le nombre de mots – sont les plus pertinentes. Ce phénomène n’épargne pas le secteur de l’énergie bien au contraire, en témoigne l’actualité parlementaire et ministérielle.
Cette multiplication des normes est imputable aux institutions politiques mais les opérateurs économiques n’y sont pas non plus étrangers. Cela entraîne des difficultés autres que la seule complexité juridique : des dispositions sont rédigées hâtivement, au détriment de leur lisibilité et parfois de leur articulation avec les textes existants.
La difficulté de l’autorité administrative, au regard des moyens humains dont elle dispose, à édicter les actes d’application de normes supérieures dans un délai raisonnable, est une autre conséquence de cette hyper-normativité. Elle n’est pas récente : elle avait déjà fait l’objet d’une question parlementaire du 22 avril 2004.
Une solution juridique. La représentation d’intérêts est parfois insuffisante à débloquer un acte demeuré à l’état de projet. Le recours pour excès de pouvoir trouve ici son utilité, dans un contentieux à l’office particulier précisé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 7 octobre :
Utilisé dans cette affaire pour obtenir la fixation du montant des droits d’inscription des étudiants en masso-kinésithérapie dans les instituts relevant d’un établissement public de santé dans un délai de deux mois, ce type de contentieux peut être utile dans tout secteur, dès lors qu’une carence déraisonnablement longue de l’action administrative est constatée.
Il s’agissait ici d’un arrêté prévu par décret mais la carence peut également concerner un décret nécessaire à l’application d’une loi – ou logiquement d’une ordonnance.
La précision du Conseil d’Etat quant à la date d’appréciation de la carence de l’administration est particulièrement intéressante : le juge apprécie les règles et circonstances au jour où il statue. Ainsi, quand bien même la condition tenant au délai raisonnable n’était pas satisfaite à la date introductive d’instance, elle pourrait l’être à la date du jugement.
Il s’agit de l’extension de ce qui avait été jugé le 19 juillet 2019 par le Conseil d’Etat réuni en Assemblée, s’agissant du refus d’abroger un acte réglementaire illégal. Sans le poser en principe, le Conseil d’Etat l’avait déjà appliqué au refus d’édicter un décret prévu par une loi.
Enfin, ainsi que le relève le rapporteur public Raphaël Chambon dans ses conclusions sur l’affaire commentée, la carence de l’administration n’est illégale que si l’application de la disposition existante est « manifestement impossible » (selon une autre rédaction, si cette disposition est « manifestement inapplicable ») ou lorsque cette carence conduit l’administration à méconnaître la volonté du législateur.
Le délai raisonnable. L’appréciation du délai raisonnable s’effectue au cas par cas, en fonction des circonstances. Un changement de majorité politique ou la complexité du texte d’application sont des éléments contextuels pris en compte par le juge administratif.
Concrètement, un délai inférieur à un an sera sans doute raisonnable mais il est improbable que la question se pose – en tout cas devant le juge du fond – en raison du délai de jugement qui excède souvent un an. Un délai de deux ans est parfois justifiable mais il l’est plus rarement au-delà.
Si on considère donc que le juge apprécie le délai raisonnable à la date de sa décision, la carence de l’administration sera souvent illégale à moins qu’il ait adopté les textes d’application nécessaires dans l’intervalle, auquel cas le requérant aura en tout état de cause obtenu satisfaction.
Enfin, la carence fautive de l’administration est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat s’il en résulte un préjudice direct et certain, mais le plus souvent les demandeurs à ces instances cherchent avant tout l’effet utile de leur recours : l’adoption de l’acte tant attendu.
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