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Annulation des mesures d’urgence renforçant les prérogatives de RTE à l’égard des RE

Le Conseil d’Etat a annulé le 17 octobre 2022 la délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) n° 2022-25 du 20 janvier 2022 portant décision relative aux règles relatives à la programmation, au mécanisme d’ajustement et au dispositif de responsable d’équilibre (MA-RE).

Ce commentaire fait suite à deux précédents articles sur ce sujet, publiés sur ce blog à propos de cette même délibération puis de la délibération qui lui a succédé.

Le contexte.

La hausse des prix de l’énergie à partir de mi-2021, qui s’est accélérée en fin d’année, a fragilisé les fournisseurs d’électricité. Ces fournisseurs assument le rôle de responsables d’équilibre, pour eux-mêmes et pour la plupart de leurs clients, intégrés à leur périmètre d’équilibre. A ce titre, ils doivent anticiper les soutirages de leurs clients en contractualisant un volume équivalent d’injections. En cas d’écart négatif, les responsables d’équilibre supportent le coût financier subi de ce fait par le gestionnaire du réseau public de transport RTE, responsable de l’équilibrage national du réseau.

En réponse à un risque de défaillance des fournisseurs que RTE risquait de subir – et in fine les consommateurs via les tarifs d’utilisation des réseaux publics (TURPE) –, RTE avait demandé en janvier 2022 à la CRE d’approuver une série de mesures renforçant les obligations des responsables d’équilibre et les prérogatives de RTE. Elles avaient principalement pour objet de réduire le risque que RTE supporte les encours laissés par des responsables d’équilibre défaillants, dont les garanties financières seraient insuffisantes.

Dans sa délibération du 20 janvier 2022, la CRE avait approuvé l’essentiel du projet de modification des règles MA-RE soumis par RTE. Elle avait néanmoins demandé à RTE de lui soumettre un nouveau projet avant le 1er juin 2022, après consultation des parties intéressées. Dans le premier article publié sur ce sujet, nous avions souligné le risque d’illégalité que faisait peser l’adoption de modifications urgentes sans consultation préalable des parties intéressées, ce dont la CRE et RTE avaient sans doute conscience mais ont estimé nécessaire au regard de la situation de marché.

Un nouveau processus de modification des règles MA-RE, cette fois-ci avec consultation des parties intéressées, a donc été mis en œuvre par RTE, qui a saisi la CRE le 31 mai. La nouvelle modification des règles a été approuvée par la CRE dans sa délibération n° 2022-25 du 7 juillet 2022, pour une entrée en vigueur le 1er septembre. Nous décrivions ces modifications dans notre deuxième article sur le sujet, ainsi que les divergences avec les mesures adoptées en janvier 2022.

Le contentieux.

La mise en œuvre des nouvelle mesures par RTE l’avait conduit à exiger du fournisseur d’énergie E-PANGO l’ajustement de sa garantie couvrant ses encours. Faute de respecter cette demande dans le délai imparti, RTE avait résilié le 7 février l’accord de participation en qualité de responsable d’équilibre d’E-PANGO. La ministre chargée de l’énergie avait par suite partiellement puis intégralement suspendu l’autorisation d’achat pour revente d’électricité de cette société, par décisions des 18 février et 18 mars, malgré le délai accordé à E-PANGO le 25 février par le président du tribunal de commerce de Paris pour ajuster la garantie bancaire. La CRE avait dès lors notifié à E-PANGO la fin des livraisons d’énergie par EDF au titre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

Parallèlement à son contentieux commercial face à RTE, E-PANGO avait contesté la délibération de la CRE du 20 janvier 2022. Après un échec en référé-suspension devant le Conseil d’Etat le 24 février pour défaut d’urgence – l’une des deux conditions permettant d’obtenir la suspension d’un acte administratif, l’autre étant le doute sérieux sur la légalité de l’acte – la légalité de la délibération devait encore être tranchée au fond.

Le Conseil d’Etat avait en effet considéré que l’intérêt public attaché « au bon fonctionnement et à la sécurisation du dispositif d’équilibre des flux d’électricité sur le réseau » prévalait sur l’intérêt particulier d’E-PANGO à poursuivre son activité de fournisseur. Cette appréciation s’appuyait notamment sur le risque de hausse des tarifs d’utilisation des réseaux publics, les difficultés antérieures d’E-PANGO et la capacité des autres responsables d’équilibre à se conformer aux nouvelles règles.

Pour autant, au fond contrairement au référé, le Conseil d’Etat ne se prononce que sur la légalité de la décision attaquée, qu’il détermine objectivement. Il a ainsi retenu l’irrégularité soulignée dans le premier de cette série d’articles, qui avait conduit la CRE à demander à RTE de procéder à une nouvelle demande de modification des règles.

Le Conseil d’Etat a en effet considéré que les mesures d’urgence sollicitées par RTE et approuvées par la CRE auraient dû être soumises à une consultation préalable des opérateurs intéressés, conformément au règlement de la Commission européenne du 23 novembre 2017 concernant une ligne directrice sur l’équilibrage du système électrique. Il ressort également de sa décision – précision nécessaire pour qu’un vice de procédure conduise à l’annulation d’un acte administratif – que cette règle procédurale constitue une garantie pour ces opérateurs et qu’elle est susceptible d’exercer une influence sur les mesures adoptées.

Bien que l’analyse du Conseil d’Etat statuant en excès de pouvoir ne porte pas en principe sur les circonstances intervenues postérieurement à l’acte attaqué, on relèvera qu’en pratique, la consultation des opérateurs intéressés a en effet conduit à l’adoption le 7 juillet de mesures distinctes – pour certaines – de celles du 20 janvier.

Enfin, le Conseil d’Etat précise que le risque financier pesant sur RTE et les utilisateurs des réseaux publics en raison des circonstances de marché de l’hiver dernier n’étaient pas telles qu’une intervention accélérée en méconnaissance de cette règle de procédure soit justifiée : en l’espèce, le risque invoqué n’était pas suffisamment exceptionnel ou urgent. Ce faisant et bien que la grille d’analyse ne soit pas identique, le Conseil d’Etat prend d’une certaine manière à contre-pied l’ordonnance du 24 février, par laquelle son juge des référés avait considéré que l’urgence de cette situation prévalait sur l’atteinte aux intérêts d’E-PANGO.

Cette observation du Conseil d’Etat est en tout cas intéressante car elle laisse ouverte, sans fondement textuel apparent, la possibilité d’une dérogation à la procédure de consultation préalable. Le préambule du règlement du 23 novembre 2017 prévoit certes à son point 18 un « processus permettant aux GRT de déroger temporairement à certaines règles fixées dans le présent règlement, afin de tenir compte de circonstances exceptionnelles dans lesquelles, par exemple, la conformité à ces règles pourrait entraîner des risques pour la sécurité d’exploitation ou le remplacement prématuré d’infrastructures intelligentes du réseau. » Mais les dérogations prévues à l’article 62 du règlement ne concernent pas les exigences et conditions s’imposant au statut de responsable d’équilibre.

Les conséquences.

L’impact de cette décision pour les responsables d’équilibre est relativement limité dès lors que les mesures d’urgence annulées par le Conseil d’Etat n’étaient plus applicables depuis le 1er septembre 2022, ayant été remplacées par les mesures approuvées le 7 juillet 2022.

La délibération du 7 juillet ne faisant pas l’objet de ce contentieux et n’étant en tout état de cause pas affecté par l’irrégularité relevée, les nouvelles mesures demeurent pleinement applicables. La décision du Conseil d’Etat ne préjuge néanmoins pas de leur légalité, dès lors qu’il ne s’est prononcé que sur la régularité de la procédure d’adoption de la délibération du 20 janvier.

Néanmoins, les opérateurs qui seraient en mesure de démontrer un préjudice résultant de l’application des mesures illégales – au premier chef desquels E-PANGO, dont l’autorisation de fourniture a été suspendue et pour qui la livraison d’ARENH a cessé – pourraient être tentés d’invoquer la responsabilité de RTE ou de l’Etat pour faute.

D’une part, celle du gestionnaire du réseau public de transport en raison de la mise en œuvre de mesures illégales, comme la hausse des garanties nécessaires au maintien du statut d’opérateur d’effacement, voire la résiliation d’accords de participation au motif de la méconnaissance de ces nouvelles mesures.

D’autre part, celle de l’Etat en raison de l’illégalité de la délibération de la CRE, nécessairement fautive, le régulateur ayant approuvé des mesures en méconnaissance de la procédure prévue par le règlement du 23 novembre 2017.

Les observateurs les plus cyniques se souviendront certes que dans la saga du commissionnement, concernant le dispositif de contrat unique, le législateur avait fait obstacle à l’indemnisation de fournisseurs d’électricité lésés par la mise en œuvre par un gestionnaire de réseau public d’une mesure de régulation asymétrique fautive, avec l’aval de la CRE. Mais dans cette affaire le Conseil constitutionnel, qui avait considéré cette validation conforme à la Constitution, avait mis en avant les importantes conséquences financières que les consommateurs d’électricité risqueraient de subir. Celles-ci sont sans commune mesure avec les préjudices susceptibles d’être invoqués par les responsables d’équilibre ici lésés, qui demeurent dans leur ensemble plus limités bien qu’individuellement élevés pour certains opérateurs.

On retiendra finalement que réguler en période de crise n’est pas chose facile et que les difficultés rencontrées par le marché poussent les opérateurs au contentieux.

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