Ce papier propose un point d’étape des travaux européens d’élaboration du cadre juridique de l’hydrogène. Le focus est mis sur la définition de l’hydrogène renouvelable et sur la prise en compte de l’hydrogène bas carbone.
Le projet initial de règlement d’exécution fixant les critères de l’hydrogène renouvelable.
Mon premier commentaire de janvier 2022 sur ce sujet (en anglais) présentait la première version du projet de règlement délégué de la Commission européenne définissant strictement ce qu’il convient d’entendre par liquide ou gaz renouvelable d’origine non biologique – en ce inclus l’hydrogène renouvelable – produit à partir d’énergie électrique. Un deuxième commentaire, de mai 2022, décrivait la nouvelle proposition de la Commission européenne, plus souple bien qu’encore exigeante (ou pas suffisamment selon le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives).
En synthèse, le caractère renouvelable serait établi dans deux ensembles de situations. D’une part, en cas de ligne directe entre installation de production d’électricité et installation de production de liquide ou de gaz renouvelable ou de production sur le même site sans soutirage. D’autre part, en soutirant de l’énergie du réseau sous réserve du respect de trois ensembles de conditions. Il s’agit de l’additionnalité, de la localisation et de la temporalité. Ces règles sont strictes mais font l’objet de dispositions transitoires plus souples.
Concrètement, l’additionnalité imposerait que lorsque l’électricité est soutirée par un producteur de liquide ou de gaz renouvelable, à partir d’un réseau dont moins de 90 % de la production est d’origine renouvelable, le caractère renouvelable ne serait notamment établi qu’en cas de signature d’un contrat d’achat d’électricité produite par de nouvelles installations renouvelables.
La localisation imposerait que les installations soient raccordées à un réseau correspondant à une zone de marché unique – ou à un réseau interconnecté mais avec des critères supplémentaires. La temporalité requerrait une synchronisation de la production d’électricité objet du contrat d’achat et du soutirage d’électricité par l’installation de production de liquide ou de gaz. Cette corrélation se ferait à terme à la maille horaire mais à titre transitoire – jusqu’en 2027 – la Commission proposait une maille mensuelle.
Pour s’opposer au texte dans les quatre mois, le Conseil de l’Union européenne aurait dû réunir une majorité qualifiée, et le Parlement la majorité des députés réunis en plénière – donc 353 voix contre. Il semble que ces voix n’aient pas été réunies.
La proposition de modification de la directive RED II.
Toutefois, le Parlement européen s’est dans l’intervalle prononcé sur la proposition de modification de la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (RED II). La proposition de la Commission européenne, qui s’inscrit dans le cadre du paquet « Fit for 55 », tendait à supprimer la condition d’additionnalité pour les véhicules électriques mais la maintenait pour la production de liquides et de gaz renouvelables à partir d’électricité.
Le Parlement européen a adopté à 314 voix contre 310 un amendement 83 supprimant la condition d’additionnalité figurant au paragraphe 3 de l’article 27 de la directive. Le texte qui en résulte prévoirait ainsi :
Au-delà de la suppression de la condition d’additionnalité, le Parlement a notamment reporté la corrélation horaire à 2030 au lieu de 2027, et a prévu à titre transitoire une corrélation trimestrielle plutôt que mensuelle.
Cette position du Parlement a entraîné l’ouverture d’une phase de trilogue entre Commission, Conseil de l’Union et Parlement, négociation qui doit aboutir à une nouvelle version de la directive. Cela implique toutefois que, soit le règlement d’exécution de la Commission européenne, qui n’est pas encore publié, deviendra rapidement obsolète, soit que sa publication – ou en tout cas son entrée en vigueur – sera retardée jusqu’à l’entrée en vigueur des modifications de la directive.
Si la suppression de la condition d’additionnalité serait a priori bien reçue par les industriels car assouplissant la qualification « renouvelable », elle ouvre une phase d’incertitude et reporte donc les investissements tant que le cadre européen n’est pas achevé.
Cette suppression est par ailleurs critiquée par d’autres parties prenantes dans la mesure où la hausse de la consommation électrique qui résulterait du développement de l’électrification de la molécule ne serait vertueuse s’agissant des émissions de gaz à effet de serre que si elle n’entraîne pas – ou peu – de hausse de la production électrique carbonée.
Le nouveau projet de règlement d’exécution de la Commission européenne.
Bien qu’il n’ait pas encore été publié, un nouveau projet d’acte délégué de la Commission, daté du 1er décembre 2022, a filtré dans la presse. Les conditions de qualification de liquides ou de gaz renouvelables produits via l’énergie électrique seraient les suivantes :
La principale modification concerne la corrélation temporelle de la production électrique et de la production de liquide ou de gaz. Durant la période transitoire – qui s’étendrait désormais jusqu’au 31 mars 2028 au lieu du 31 décembre 2026 – la corrélation ne serait plus examinée à la maille mensuelle mais trimestrielle. Cela correspond partiellement à la volonté initiale du Parlement, qui souhaitait toutefois que cette souplesse demeure jusqu’en 2030.
On notera par ailleurs qu’il serait possible pour déterminer l’origine de l’électricité consommée par un même site de production de liquide ou de gaz renouvelable, d’alterner entre production électrique sur site et production électrique via le réseau. Cela permettrait d’optimiser la production de liquide ou de gaz renouvelable pour pallier l’intermittence ou l’indisponibilité de la production d’électricité renouvelable sur site ou sur le réseau.
En revanche, la condition d’additionnalité, qui avait été supprimée du projet de modification de la directive RED II par le Parlement, est maintenue dans cette nouvelle version du projet d’acte délégué. Il faudra attendre la fin du trilogue pour savoir si cela reflète effectivement le compromis entre les institutions européennes.
Le projet de directive concernant des règles communes pour les marchés intérieurs des gaz naturel et renouvelable et de l’hydrogène.
D’intenses discussions ont également lieu dans le cadre du paquet gazier présenté par la Commission européenne en décembre 2021. Un compromis politique semblait émerger entre Etats membres à l’automne afin que certains objectifs de décarbonation puissent être satisfaits par de l’hydrogène bas carbone quand bien même il ne s’agirait pas d’hydrogène renouvelable :Concrètement, cela concerne principalement l’hydrogène produit en utilisant de l’électricité d’origine principalement nucléaire, à la suite d’une demande de la France et d’autres Etats membres. Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives avait fait valoir ce point dès novembre 2021 dans sa réponse à la consultation européenne sur le paquet gazier (p. 3).
En tout état de cause, le point ne semble pas tranché, à la lecture du rapport sur l’état des travaux du 12 décembre 2022. Ce document du Conseil de l’Union européenne décrivant les modifications apportées au projet de directive précise en effet :L’ensemble des travaux évoqués dans cet article devrait aboutir début 2023 mais de nombreux points cardinaux semblent donc encore en suspens. Après avoir pris de l’avance sur les gaz renouvelables et l’hydrogène, les atermoiements politiques de 2022 risquent de faire caler la filière au démarrage cependant qu’elle prend son essor ailleurs et notamment aux Etats-Unis à la suite de l’adoption de l’Inflation Reduction Act.
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