Statuant en premier et dernier ressort en matière d’énergies marines renouvelables, le Conseil d’Etat (CE, 21 mars 2022, Association Libre Horizon et autres, n° 451678) s’est prononcé sur un refus d’abroger les autorisations d’exploiter de trois parcs éoliens en mer.
Les requérantes soutenaient que le changement d’actionnariat de la société Eolien Maritime France, qui détient majoritairement ou intégralement trois sociétés dédiées au développement de ces parcs, méconnaissait une condition du maintien des autorisations d’exploiter et remettait en cause la désignation des lauréats de l’appel d’offres organisé en 2011-2012.
L’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité est un acte créateur de droits.
Principe. Le Conseil d’Etat considère qu’une autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité est créatrice de droits dès lors qu’elle « fixe le mode de production, la capacité et le lieu d’implantation des installations de production d’électricité ». On ne doutait pas de cette qualité, les requérantes ayant au demeurant fondé leur recours sur les dispositions applicables aux actes créateurs de droit.
Concrètement, un acte administratif individuel créateur de droits est mieux protégé qu’un acte réglementaire ou qu’un acte non réglementaire – notamment individuel – non créateur de droits. Parmi les conséquences de cette qualification et sauf dispositions spécifiques contraires :
- un acte créateur de droits ne peut être abrogé ou retiré que dans les quatre mois de sa délivrance (ce qui ne fait pas obstacle à son annulation postérieure par une juridiction administrative en cas d’illégalité et de contestation par un tiers dans le délai de recours) ;
- toutefois, un acte créateur de droits peut être :
- retiré ou abrogé à tout moment s’il a été obtenu frauduleusement ;
- abrogé si son maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie ;
- retiré si les conditions mises à l’octroi d’une subvention ne sont plus remplies.
C’est sur l’avant-dernier point que se fondaient les requérantes.
La stabilité de l’actionnariat n’est pas une condition du maintien de l’autorisation d’exploiter, à moins que le contraire soit prévu dans l’autorisation ou le cahier des charges.
Le Conseil d’Etat précise que la modification de l’actionnariat du titulaire d’une autorisation d’exploiter n’est pas une condition de maintien de l’autorisation, à moins que le contraire soit prévu dans le cahier des charges de la procédure de mise en concurrence ayant précédé l’autorisation. Ce n’était pas le cas dans le cahier des charges de l’appel d’offres concerné – en l’espèce celui ayant conduit à l’attribution de quatre projets de parcs éoliens en mer en 2012.
Les cahiers des charges plus récents se distinguent à cet égard, s’agissant de l’éolien en mer. Celui qui a été publié dans sa version finale en avril 2022 par la Commission de régulation de l’énergie dans le cadre du dialogue concurrentiel pour un parc éolien en mer au large de la Normandie prévoit ainsi à son article 6.3 l’accord préalable du ministre chargé de l’énergie en cas de changement de contrôle de l’attributaire ou de cession d’au moins 5 % de son capital sur une année glissante.
Les cahiers des charges des appels d’offres récents pour des énergies renouvelables terrestres prévoient à l’inverse une simple obligation d’information. La modification de l’actionnariat y est réputée autorisée sauf à méconnaître les engagements relatifs à l’investissement participatif ou à la gouvernance partagée.
Dans ces deux cas, il ne s’agit pas pour autant d’une condition du maintien mais d’une obligation à laquelle le lauréat d’une procédure de mise en concurrence est tenu sous peine de sanction. L’autorisation d’exploiter n’en est pas pour autant nécessairement affectée, lorsqu’elle existe.
L’objet de la décision désignant le lauréat d’une procédure de mise en concurrence en application du code de l’énergie.
Dans sa décision du 21 mars 2022, le Conseil d’Etat rappelle que la décision de désignation intervenant au terme de la procédure de mise en concurrence « a pour seul objet de désigner le ou les candidats retenus à l’issue de cette procédure » (voir aussi CE, 24 juill. 2019, Association Gardez les caps, n° 418846).
La formule est absconse. Concrètement, le droit qui résulte de la procédure de mise en concurrence et donc de la désignation du candidat est celui de bénéficier d’un contrat d’achat ou d’un contrat de complément de rémunération, formes de soutien public à la production d’électricité à un tarif garanti.
Cela explique qu’une association dont l’objet statutaire est la protection de l’environnement – et non le développement de parcs de production électrique – n’a pas intérêt à agir contre cette décision. Son droit au recours s’exerce donc à l’égard de l’autorisation d’exploiter et d’autres décisions administratives, notamment l’autorisation environnementale que le lauréat doit obtenir.
Quid en l’absence d’autorisation d’exploiter ? Les seuils en-deçà desquels l’autorisation d’exploiter est réputée acquise sont en effet élevés pour les installations utilisant les énergies renouvelables (voir notre précédent article évoquant ce sujet). Lorsqu’ils ne sont pas atteints, elles n’ont pas besoin – et ne bénéficient donc pas – d’une autorisation d’exploiter fixant le mode de production, la capacité et le lieu d’implantation de l’installation de production, puisqu’elles n’en ont pas besoin. Il n’y a donc pas d’autorisation d’exploiter qui puisse être contestée par des tiers.
On peut dès lors se demander si la solution dégagée par le Conseil d’Etat en 2019 et rappelée le 21 mars tient lorsque le projet ne requiert pas d’autorisation d’exploiter. Autrement dit, dans cette hypothèse, l’objet de la décision de désignation est-il implicitement élargi à la désignation « [du] mode de production, [de] la capacité et [du] lieu d’implantation » ? L’intérêt à agir des tiers à l’encontre de la décision de désignation est-il par voie de conséquence apprécié plus largement ?
La réponse devrait être négative. Le cahier des charges prévoit certes – en toute hypothèse – le mode de production, la tranche de puissance, et pour l’éolien en mer la localisation du parc. Ce ne sont toutefois pas des droits, à l’inverse de leur présence dans l’autorisation d’exploiter. Ce sont des obligations que le lauréat s’engage à respecter conformément à son offre, sous peine de sanctions administratives. Il en est de même de la modification de l’actionnariat, lorsqu’elle est soumise à autorisation ou à conditions.
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