La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié le 26 janvier 2024 son avis sur le projet de décret prévoyant les modalités d’autorisation des producteurs concluant des contrats de vente directe d’électricité (ou contrats d’achat direct ou corporate PPA).
Le projet de décret sur lequel la CRE a émis un avis, sera pris pour l’application de l’article L. 333-1 du code de l’énergie, tel que modifié par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER). Cette obligation dont la loi prévoit l’entrée en vigueur le 1er juillet 2023, nécessite l’adaptation des textes réglementaires existants.
La CRE a émis un avis favorable au projet de texte, bien que formulant des recommandations substantielles sur la plupart des points abordés dans cet article.
1. L’autoconsommation collective.
Par une formulation qui rappelle la technique des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel, la CRE indique qu’elle « comprend » que la définition donnée aux « contrats de vente directe d’électricité » dans le projet de décret permet de les distinguer de la cession d’électricité en autoconsommation collective (ACC) dès lors que celle-ci « répond à un régime juridique précis », « est limitée par un périmètre géographique », « s’inscrit dans un cadre conventionnel multipartite » et s’organise « autour d’une personne morale organisatrice ». La CRE préconise cependant d’exclure explicitement les opérations d’ACC.
Cette recommandation diverge de la position affichée – en tout cas initialement – par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui avait rédigé le projet de texte. La DGEC déduisait en effet de l’intention du législateur que l’ACC ne pouvait pas être exclue du champ d’application de l’obligation d’autorisation.
L’autorité titulaire du pouvoir réglementaire dispose sans doute d’une marge de manœuvre plus importante que cela. Quand bien même elle ne suivrait pas l’avis de la CRE en excluant la vente d’électricité dans le cadre d’opérations d’ACC du champ d’application de l’obligation d’autorisation, elle dispose d’autres outils lui permettant d’alléger un régime d’autorisation administrative. On pense notamment à l’autorisation réputée accordée – mais qui peut néanmoins être retirée – sous un certain seuil ou dans certaines circonstances, ou encore à l’autorisation acquise après le silence de l’administration dans un délai suivant la demande d’autorisation.
Si l’autorité administrative ne doit certes pas méconnaître le principe d’égalité, il n’en demeure pas moins qu’une différence de situation peut justifier une différence de traitement, si cette dernière est en rapport avec la première. Notamment, l’existence d’un cadre juridique spécifique, avec des limitations en volume ou géographiques, sont des arguments avancés par la CRE, qui pourraient éventuellement justifier un régime juridique distinct.
Derrière le débat concernant la soumission à un régime d’autorisation administrative, il ne faut en tout état de cause pas oublier que demeure la question des obligations applicables aux « fournisseurs », point sur lequel nous reviendrons plus bas.
2. Les PPA financiers (ou virtuels).
La CRE accueille favorablement la modification du projet de décret, apportée en Conseil supérieur de l’énergie, tendant à exclure les PPA financiers du périmètre des contrats conclus par les producteurs entraînant l’obligation d’obtention d’une autorisation. Cette exclusion est conforme à l’intention du législateur dans la mesure où malgré leur nom (PPA étant l’acronyme de « power purchase agreements« ), ces contrats ne sont pas des contrats de vente d’électricité mais des contrats d’écart compensatoire (contracts for difference). Ces contrats sont confrontés à d’autres problématiques, notamment la réglementation des instruments financiers ainsi que leur appréhension par les normes comptables.
La lecture de la modification apportée à la définition ne semble pour autant pas concerner ce sujet (qui n’a probablement jamais réellement fait débat) mais elle a une implication plus large que la simple exclusion des PPA financiers. Seraient exclus du périmètre de l’autorisation les contrats d’achat d’électricité par un consommateur final qui revendrait ces volumes. Il s’agit donc d’un mécanisme de couverture à la manière d’un PPA financier, mais avec échanges de blocs sur le dispositif de responsable d’équilibre sans que l’énergie soit livrée au consommateur final : elle est valorisée par celui-ci, en général via son fournisseur et responsable d’équilibre, et vient en déduction de sa facture.
3. Le dossier de demande d’autorisation.
La CRE relève que malgré des adaptations à la marge, certains éléments du dossier de demande d’autorisation d’achat pour revente ont été conservés pour les producteurs alors qu’ils ne sont pas pertinents.
C’est le cas de la description des « moyens et compétences mis en œuvre pour évaluer les besoins en électricité et assurer les achats correspondants », qui est maintenue alors que les producteurs concluant des corporate PPA ne réalisent, pour la plupart, pas d’achat pour revente mais produisent l’intégralité de l’électricité qu’ils vendent. A moins d’imposer que seuls des opérateurs réalisant au moins pour partie de l’achat pour revente puissent approvisionner des consommateurs finals – et donc d’interdire aux producteurs de limiter leur activité à de la production –, le maintien de la description de ces moyens et compétences ne fait donc pas sens.
On relèvera par ailleurs que la rédaction de l’article L. 333-1 du code de l’énergie issu de la loi APER, ne fait pas obstacle à ce qu’il y ait deux régimes d’autorisation différents, adaptés aux spécificités de chacune des activités de vente d’électricité aux consommateurs finals ou aux gestionnaires de réseaux pour leurs pertes.
L’autorité chargée du pouvoir réglementaire s’oriente certes vers une autorisation de fourniture générale, commune, mais cela n’est pas une nécessité. Une autorisation adaptée aux spécificités et contraintes propres à chaque activité, plutôt que la soumission des producteurs à un régime qui n’a pas été façonné pour eux et qui n’a été modifié qu’à la marge, eut peut-être été préférable.
4. La répartition des obligations des fournisseurs.
La CRE relève un vide majeur du nouveau cadre juridique : les modalités d’allocation de la part des obligations entre le fournisseur du complément d’une part, le producteur titulaire d’une autorisation ou son délégataire d’autre part. Il convient de noter que si le fournisseur du complément est le délégataire du voire des producteur(s) (cas le plus fréquent), la question ne se pose pas.
Les obligations relevées par la CRE ne surprennent pas : le dispositif d’obligation d’économies d’énergie, l’obligation de capacité, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (qui prendra fin le 31 décembre 2025 et dont la succession est encore floue) et l’assujettissement à l’accise sur l’électricité (ancienne CSPE/TICFE).
La CRE rappelle le dispositif existant pour les sites multifournisseurs, principalement utilisé par les industriels – souvent avec un fournisseur en base et un autre en pointe. Il consiste à programmer des échanges de blocs de type « RE-Site » dans le cadre du dispositif de responsable d’équilibre de RTE. Si ce schéma est selon la CRE compatible avec une livraison cumulée par un fournisseur « classique » et par un producteur, elle souligne sa complexité opérationnelle et sa limitation aux consommateurs ayant conclu un contrat d’accès au réseau, c’est-à-dire sans contrat unique.
Afin de remédier à ce vide, la CRE propose à l’autorité administrative d’animer des groupes de travail sur ce sujet complexe.
5. La délégation des obligations.
Concernant enfin la possibilité pour le producteur de déléguer ses obligations de fournisseur plutôt que d’obtenir une autorisation, la CRE relève que cette alternative nécessite un accord des trois parties et donc que les titulaires de l’autorisation acceptent d’endosser ces obligations. Elle signale aussi un risque contractuel lié à la divergence temporelle des contrats si, après la première délégation – qui vraisemblablement durera le temps du contrat de complément de fourniture soit 1 à 3 ans, bien moins que le CPPA – le nouveau fournisseur du complément et le producteur ne parviennent pas à un accord.
Malgré les inquiétudes de la CRE, ces risques doivent être relativisés. Concernant la bonne volonté des fournisseurs, il semble jusqu’à présent que la plupart acceptent de se voir déléguer les obligations correspondant à la part d’électricité fournie par le producteur. Quant au second point, la limitation de ce risque consiste pour le producteur à faire supporter sur le consommateur l’obtention de l’accord du fournisseur du complément ou d’un autre titulaire d’autorisation. Le risque ne disparaît certes pas mais il est reporté sur le consommateur qui, en tant que client, est mieux armé que le producteur pour négocier avec des fournisseurs, notamment en exigeant cette condition au moment de la conclusion du contrat de complément de fourniture.
On relèvera au demeurant que le modèle de délégation des obligations fournisseur mis en ligne – sans que ce modèle soit obligatoire – par la DGEC contient une ambiguïté rédactionnelle qui a entraîné des débats d’interprétation quant au bien-fondé de sa qualification en délégation « parfaite ». Celle-ci entraîne en effet novation des obligations déléguées en application de l’article 1337 du code civil. Or, deux alinéas après avoir prévu que « la présente délégation entraîne novation des Obligations Fournisseurs du Vendeur », le modèle précise que « la présente délégation n’emporte pas novation des obligations du Contrat d’Achat d’Electricité qui ne sont pas des Obligations Fournisseurs ». Sans doute faut-il comprendre dans cette dernière phrase que parmi les obligations du contrat d’achat d’électricité (CPPA), celles qui ne relèvent pas des obligations applicables aux fournisseurs (voir ci-dessus la liste identifiée par la CRE) ne sont pas novées.
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