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Prix négatifs : vers une participation accrue des renouvelables à l’équilibrage

Dans une note du 26 novembre 2024, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié sa première analyse du phénomène de prix négatifs et formulé des recommandations visant à permettre aux producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables de contribuer efficacement à l’équilibrage du système électrique.

Contexte.

Le régulateur relève que les épisodes de prix négatifs pour livraison le lendemain (spot) sur la plateforme de marché organisé français de l’électricité ont représenté 5,4 % du temps au premier semestre 2024 contre 1,7 % en 2023 et un maximum de 1,2 % les années précédentes. La CRE signale notamment que leur existence ne révèle pas, par nature, un dysfonctionnement du système électrique ou du marché. Elle propose néanmoins des pistes pour réduire leur fréquence et leur intensité.

De nombreux outils existent d’ores et déjà pour équilibrer le système électrique lorsque l’offre est supérieure à la demande.

La demande est depuis longtemps utilisée par RTE, qui contractualise des capacités d’effacement avec des industriels électro-intensifs, aujourd’hui dans le cadre du dispositif d’interruptibilité. La participation des consommateurs industriels s’est démocratisée que ce soit sur le mécanisme d’ajustement ou sur les marchés de l’énergie via le dispositif NEBEF. Enfin, l’effacement diffus de consommation, notamment résidentielle, s’est sensiblement développé ces dernières années.

Le stockage est un outil de flexibilité précieux, notamment les stations de transfert d’énergie par pompage, plus récemment les batteries stationnaires et à l’avenir l’agrégation de stockage mobile (grâce à la charge bidirectionnelle permettant du vehicle-to-grid).

Les interconnexions représentent une grande capacité d’évacuation du surplus de production à l’export. Cette capacité doit être relativisée lorsque les autres pays surproduisent aussi ce qui contribue parfois à l’émergence de prix négatifs en France ou les renforce.

Enfin, du côté de l’offre, les centrales thermiques sont les actifs flexibles par excellence mais leur capacité installée est historiquement faible. Les centrales hydroélectriques avec retenue constituent un outil important de flexibilité en France et le nucléaire est modulable dans une certaine mesure, ce qui représente une capacité à la baisse significative eu égard à sa part dans la production électrique française.

Il serait par ailleurs faux de considérer que la production d’origine renouvelable est un angle mort de la gestion des prix négatifs. Le dispositif de complément de rémunération prévoit en effet depuis sa création une incitation à arrêter la production en période de prix négatifs : les producteurs ne sont pas rémunérés lors de ces pas de temps et ils sont compensés au-delà d’une franchise horaire de prix négatifs. La CRE constate toutefois que l’actuelle incitation à l’arrêt de production pour les installations en complément de rémunération conduit à des signaux binaires, contradictoires en cas de prix faiblement négatifs, préjudiciables pour l’équilibrage du système et pour les producteurs.

A l’inverse la manière dont le dispositif d’obligation d’achat a été élaboré fait obstacle à la limitation ou l’interruption de la production. Il s’agit de l’ensemble des contrats prévoyant des aides à la production conclus avant 2017, et d’une portion résiduelle des contrats conclus postérieurement. Nombre de ces contrats sont encore en vigueur.

Il en résulte que moins de 500 MW de production d’origine renouvelable participe au mécanisme d’ajustement. Il semble même que seule une capacité de 100 MW y participe régulièrement (étude d’impact sur le projet de loi DDADUE, pp. 260 et 261). Cela, alors que l’interruption manuelle des producteurs par RTE est lourde pour des actifs décentralisés, lesquels transmettent en tout état de cause rarement leurs programmes d’appel.

Recommandations de la CRE.

La CRE a accompagné sa note de dix recommandations concernant les installations subventionnées produisant de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, sans préjudice de l’augmentation des capacités de stockage et de la flexibilité de la demande. Elles visent à renforcer et améliorer leur participation à l’équilibrage du système électrique.

On peut synthétiser ainsi ces recommandations :

Synthèse des recommandations de la CRE

La CRE préconise la mise en place prioritaire des recommandations 1, 4 et 10. Elle considère aussi que les recommandations 2 et 5 pourront aisément être adoptées par voie réglementaire.

Certaines d’entre elles ont été reprises par le Gouvernement, dans des projets de loi ou amendements, avant même la publication de l’analyse de la CRE.

Obligation de mise à disposition de la puissance disponible à la hausse et à la baisse (projet de loi DDADUE).

Le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, contient huit articles consacrés au secteur de l’énergie. Le projet de loi a été déposé le 31 octobre par le Gouvernement. Il est en cours d’examen par l’Assemblée Nationale et passera en audience publique à partir du 9 décembre, avant transmission au Sénat.

L’exposé des motifs précise que l’article 21 prévoit « d’étendre l’obligation d’offrir la puissance disponible à l’ensemble des installations de production, y compris celles raccordés sur le réseau public de distribution et d’étendre l’obligation actuelle à la puissance disponible à la baisse en plus de la hausse ».

Concrètement, le droit applicable impose la participation au mécanisme d’ajustement (réserve tertiaire) des seuls producteurs raccordés en transport et uniquement à la hausse. Si le projet est adopté, l’obligation sera étendue aux installations raccordées en distribution et imposera – aux installations dépassant un seuil de puissance – d’offrir sur le mécanisme d’ajustement la capacité disponible non seulement à la hausse mais aussi à la baisse.

Pour rappel, afin de participer au mécanisme d’ajustement il convient soit d’obtenir la qualité d’acteur d’ajustement auprès de RTE, soit de faire appel à un acteur d’ajustement qui sera en mesure de formuler l’offre d’équilibrage auprès de RTE.

Enfin, quand bien même la participation au mécanisme d’ajustement deviendrait obligatoire, les producteurs demeureront libres du prix de leur offre. Or, on a vu que la conception actuelle du complément de rémunération ne permet pas aux producteurs de proposer des offres économiquement pertinentes pour l’équilibrage du système électrique. Ceux en obligation d’achat sont interdits d’y participer.

Cette disposition n’est donc pas en soi suffisante pour améliorer efficacement l’équilibrage du système.

Levée des contraintes résultant de la conception actuelle de l’obligation d’achat et du complément de rémunération (amendement au projet de loi de finances pour 2025).

Pour remédier aux obstacles à la participation efficace au mécanisme d’ajustement, des producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat ou du complément de rémunération, la modification de ces mécanismes de soutien est nécessaire. Tel était l’objet de l’amendement n° II-4003 au projet de loi de finances pour 2025, déposé par le Gouvernement le 12 novembre 2024 au bureau de l’Assemblée Nationale.

Le projet de loi a été rejeté par l’Assemblée Nationale sans que cet amendement n’ait pu être examiné et il ne figure pas, pour l’instant, dans le texte examiné par le Sénat. Il pourrait être réintroduit par la suite, mais son adoption n’est en tout état de cause pas assurée, le recours au 49§3 suivi du succès d’une motion de censure n’étant pas écarté.

Pour autant, le sujet est plus technique que politique, porté par la CRE et semble-t-il par la Direction générale de l’énergie et du climat. Il est probable qu’il figure dans un texte ultérieur et soit adopté à terme. L’échéance est cependant incertaine en raison de l’instabilité politique actuelle.

L’amendement prévoit, à l’égard de l’ensemble des contrats – futurs ou en vigueur – que :

  • les acheteurs obligés (EDF, entreprises locales de distribution) et les opérateurs agréés pourront demander l’arrêt ou la limitation de la production contre compensation. L’électricité produite en méconnaissance de cette demande ne sera pas rémunérée ;
  • les producteurs (hors ZNI) bénéficiant de l’obligation d’achat pourront participer au mécanisme d’ajustement à la baisse en recevant non seulement la rémunération prévue au contrat d’achat, mais aussi une rémunération au titre du service d’ajustement fourni à RTE ;
  • le dispositif de complément de rémunération sera aménagé, notamment afin d’éviter que les producteurs ne soient pénalisés d’avoir été appelés à la hausse par RTE en période de prix très légèrement négatifs ou d’avoir fortement limité leur production sans l’avoir entièrement arrêtée pour des raisons techniques.

L’ensemble de ces dispositions tend dont à supprimer les obstacles juridiques et économiques à la contribution des producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat ou du complément de rémunération à l’équilibrage du système électrique. Dans certains cas, cette contribution sera imposée – mais compensée – sous peine de ne bénéficier d’aucune rémunération pour les heures concernées.

L’exposé des motifs de l’amendement précise que « Les installations concernées sont à la fois celles bénéficiant de l’obligation d’achat et celles bénéficiant d’un contrat de complément de rémunération. Les principales filières concernées seront l’éolien en mer, les grands parcs éoliens terrestres et les grands parcs photovoltaïques ». La CRE préconise de cibler, pour les contrats en vigueur, les installations raccordées en transport, et pour les futurs contrats, celles d’une puissance supérieur à 36 kW (p. 7 de l’étude).

Si elles étaient adoptées, ces dispositions ayant vocation à s’appliquer aux contrats d’achat et de complément de rémunération en vigueur, elles porteraient atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. Afin d’assurer leur constitutionnalité, elles devraient donc respecter l’exigence de « motif d’intérêt général suffisant », rappelée par le Conseil constitutionnel dans sa décision relative au déplafonnement des avoirs des contrats de complément de rémunération (n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023).

Au regard de l’appréciation souple de cette exigence par le Conseil constitutionnel, de l’importance de la mission de service public d’équilibrage du système électrique dévolue à RTE, voire des économies résultant de la réduction des épisodes de prix négatifs, il est probable que ce motif soit reconnu.

L’atteinte aux conventions légalement conclues doit cependant être proportionnée à l’objectif poursuivi. Si les producteurs conservent la rémunération raisonnable attendue des contrats d’achat et de complément de rémunération, la condition devrait être satisfaite. Il est donc nécessaire que les ajustements affectant les contrats en vigueur soient correctement calibrés et ne comportent pas d’angle mort préjudiciable aux producteurs.

*

L’adoption des recommandations de la CRE devrait amener un nombre significatif de producteurs à participer activement au mécanisme d’ajustement. Certains pourraient devenir acteur d’ajustement mais il est probable que nombre d’entre eux contractent avec un acteur d’ajustement tiers. Dans ce cas, la plus forte incitation à l’interruption des installations en épisode de prix négatifs nécessitera une bonne fluidité des échanges entre producteur et acteur d’ajustement et un calibrage adéquat des pénalités en cas de défaut d’une partie conduisant à une perte de rémunération.

Si la participation accrue des producteurs renouvelables a les effets escomptés par la CRE, elle devrait réduire le nombre et l’intensité des épisodes de prix négatifs (ou en tout cas atténuer leur progression), diminuer les coûts de l’obligation d’achat pour l’Etat ainsi que le prix de règlement des écarts sur le dispositif MA/RE et donc le coût d’agrégation des actifs de production.

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