Les prix de l’électricité et du gaz naturel ont plus que décuplé en un an, alors qu’ils étaient déjà, lors de l’été 2021, à un niveau plus élevé que les années précédentes. Les prix de l’électricité pour 2023 excèdent même 1000 €/MWh (mégawattheure), alors qu’ils fluctuaient entre 30 et 60 €/MWh durant la décennie précédente.
La hausse s’accélère encore et les consommateurs professionnels qui la subissent sont confrontés à un secteur et à un cadre juridique complexes.
Cet article mentionne quelques leviers qui peuvent être actionnés par ces consommateurs afin d’atténuer les effets de la hausse des prix de l’électricité.
Contexte.
La hausse des prix de l’électricité a plusieurs causes. Tant la presse spécialisée que la presse généraliste les ont décrites en détail et s’en font l’écho plus intensément avec la rentrée. Elle résulte de deux mouvements concordants : un déséquilibre offre-demande et une hausse du coût marginal de production de l’électricité.
La hausse de la demande est initialement due à la reprise économique post-Covid et à l’accélération de l’électrification des usages – encore que cette cause demeure modeste.
Mais le déséquilibre provient principalement de l’offre, qui peine à répondre à la demande en raison :
– d’une production nucléaire historiquement faible en Europe : fermetures de centrales ces dernières années en Allemagne et dans une moindre mesure en France ; taux d’indisponibilité historique du nucléaire en France sous l’effet combiné de reports de maintenance lors des premiers confinements, de travaux importants nécessaires à la prolongation de la durée d’exploitation des centrales (le « grand carénage »), d’un défaut de conception en série (le phénomène de « corrosion sous contraintes ») et de réductions de la production dues à un réchauffement et à une réduction du débit des cours d’eau en période de sécheresse ;
– d’une indisponibilité de la ressource hydraulique dans toute l’Europe, qui n’affecte donc pas seulement la production nucléaire mais logiquement la production hydroélectrique ;
– de la fermeture de centrales thermiques vieillissantes.
Le prix de l’électricité est fixé en fonction du coût marginal de production de la dernière centrale appelée. Les premières centrales appelées sont celles dont les coûts d’exploitation sont les moins chers, en application de la règle du « merit order ». La dernière centrale appelée est donc la centrale appelée la plus chère. Lorsque la demande est élevée et l’offre faible, la dernière centrale appelée est parmi les plus coûteuses à exploiter du parc de production, si ce n’est la plus coûteuse.
Or, il s’agit actuellement de centrales à gaz, le prix du gaz naturel ayant explosé, principalement sous l’effet d’une diminution croissante des flux gaziers russes vers l’Europe depuis 2021. A cela s’est un temps ajouté la reprise économique, ainsi que l’incident qui affectera jusqu’en novembre Freeport LNG, le principal port méthanier d’exportation américaine de gaz naturel liquéfié.
Les premiers affectés par cette situation sont les fournisseurs, dont les coûts d’approvisionnement sur les marchés de gros ont fortement augmenté. Tous ont été impactés, de manière plus ou moins forte selon la couverture de leurs engagements par des produits à terme.
Les fournisseurs les plus touchés ont fait l’objet de procédures collectives malgré les aides d’Etat mises en place fin 2021. Certains ont – légalement ou non, selon les cas – résilié des contrats ou augmenté le prix applicable à leurs clients. Tous ont augmenté le prix de leurs nouvelles offres et certains se sont retirés des marchés de fourniture, aux particuliers ou aux professionnels.
Certains clients sont – pour l’instant – protégés par le « bouclier tarifaire » qui vise principalement les tarifs réglementés de vente d’électricité et certaines offres de marché aux consommateurs résidentiels ainsi qu’aux petits consommateurs professionnels.
D’autres consommateurs, professionnels, ont progressivement pris conscience de la difficulté de la situation au cours de l’année écoulée. Ils sont dans différentes situations, selon qu’ils :
– bénéficient encore d’un contrat en cours qui garantit un prix stable et raisonnable sans que leur fournisseur n’ait appliqué unilatéralement une révision du prix ;
– sont en conflit avec leur fournisseur en raison de la résiliation de leur contrat de fourniture ou de la modification unilatérale du prix ;
– tentent de renouveler leur contrat de fourniture ou de trouver un nouveau fournisseur : les prix sont bien plus élevés que leur contrat actuel et il est même difficile d’obtenir des offres de fourniture, tant les prix de gros sont élevés et instables.
Si une solution miracle était disponible, cet article ne serait pas nécessaire. Quelques clés seront néanmoins utiles pour les consommateurs professionnels confrontés à cette situation, tant pour leurs besoins courts termes que pour atténuer la hausse des prix à plus long terme. L’année 2023 et l’hiver qui suivra s’annoncent en effet plus délicats encore à passer que la période actuelle, le remplissage des stockages de gaz naturel n’étant pas garanti contrairement à 2022.
Si on écarte la maîtrise de la consommation, les aides d’Etat mises en place par le Gouvernement et les dispositifs intéressant des profils de consommateurs particuliers (les différents mécanismes d’effacement de consommation), il convient d’évoquer l’ARENH (1) ainsi que les contrats directs de vente d’énergie (CPPA) et l’autoconsommation (2). On peut également tenter un exercice de prospective, qui demeure néanmoins délicat (3), avant d’évoquer brièvement le secteur gazier (4).
1. L’ARENH.
Un élément clé de la relation entre consommateurs et fournisseurs d’électricité est l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Ce mécanisme de régulation transitoire, conçu pour expirer en 2025, impose à EDF de céder un ruban d’électricité en base aux fournisseurs qui en font la demande à un prix initial de 42 €/MWh qui n’avait pas évolué depuis 2012, afin que ces derniers puissent faire profiter leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français en cas de période de prix de gros élevés.
Les volumes demandés par les fournisseurs sont calculés en fonction du profil de consommation de leur clientèle – et de leur prévision d’acquisition de clientèle – durant certaines heures creuses de l’année, fixées par arrêté. Le volume demandé par l’ensemble des fournisseurs ne peut excéder un plafond également fixé par arrêté. Lorsque le plafond est atteint, les demandes des fournisseurs sont écrêtées proportionnellement au volume excédant le plafond.
La loi relative à l’énergie et au climat avait prévu que le plafond d’ARENH, jusqu’alors fixé à 100 TWh, pouvait être porté à 150 TWh par arrêté. Le Gouvernement avait initialement maintenu le plafond à 100 TWh, mais il a exceptionnellement – et en urgence, puisque la décision a été prise en cours de période de livraison – augmenté le volume livré par EDF en 2022 de 20 TWh (l’ « ARENH+ », cédé à 46,2 €/MWh), en raison de l’augmentation continue des prix de gros. Cette hausse du volume allouable visait principalement à soulager les fournisseurs alternatifs et leurs clients. En temps normal, cela modère également la hausse des tarifs réglementés de vente, lesquels augmentent mécaniquement avec l’écrêtement de l’ARENH afin de garantir leur contestabilité (vœu pieux avec la mise en place du bouclier tarifaire), mais le bouclier tarifaire avait déjà gelé la hausse de ces tarifs.
La loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a prévu, afin de prendre en compte l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire, que le Gouvernement ne peut plus porter le plafond d’ARENH au-delà de 120 TWh. Il demeure pour l’instant fixé à 100 TWh. Pour éviter une réitération de l’instabilité créée par l’ARENH+, le secteur ne peut qu’espérer que si le Gouvernement augmente le plafond d’ARENH, il le fera avant le guichet de demandes de novembre 2022. Cette loi a également porté le prix de l’ARENH à 49,5 €/MWh.
Bien qu’il s’agisse d’un mécanisme régulé, la clause d’ARENH des contrats de fourniture, lorsqu’elle existe, est rédigée différemment selon la gestion par les fournisseurs des risques d’écrêtement et d’évolution du plafond. Pour les consommateurs, ce n’est pas neutre, puisque certaines clauses leur font supporter le risque d’écrêtement ou d’évolution réglementaire du dispositif en cours de période de livraison.
Au demeurant, les fournisseurs ont des pratiques différentes de répercussion des volumes d’ARENH aux consommateurs, ce que les négociations contractuelles entre fournisseurs et consommateurs tendent à révéler. La Commission de régulation de l’énergie est d’ailleurs intervenue à plusieurs reprises pour préciser les règles édictant les modalités de répercussion de l’ARENH+ (délibérations du 31 mars et du 27 juillet 2022).
L’ARENH est donc un élément déterminant, auparavant négligé par les consommateurs moins avertis, des contrats de fourniture d’électricité. La hausse des prix les aura sans doute rendus plus attentifs sur cette composante essentielle du prix.
2. CPPA et autoconsommation.
Les consommateurs souhaitant réduire leur dépendance aux fluctuations des marchés de l’énergie peuvent se tourner directement vers les actifs de production d’électricité. Malgré la hausse des coûts de construction due à celle des matières premières, cette option est actuellement très intéressante. Cela peut se faire sous forme d’autoconsommation, ou bien par la contractualisation de volumes d’électricité produite par des installations exploitées par des tiers (la dénomination anglaise « power purchase agreements » ou « PPA » est souvent utilisée).
S’agissant de l’autoconsommation, afin de ne pas faire reposer l’investissement sur le consommateur, des modèles économiques avec tiers investisseur se sont développés. Le tiers construit/installe et assure la maintenance de l’installation de production – souvent photovoltaïque. Il met cette installation à disposition du consommateur afin que ce dernier l’exploite. Cet autoproducteur/autoconsommateur verse en contrepartie un loyer sur une période de dix à vingt ans selon les projets.
La production couvre rarement l’ensemble de la consommation de l’autoproducteur et elle excède parfois cette consommation. Un contrat de complément de fourniture demeure donc nécessaire, tandis que le surplus peut être valorisé sur le marché ou via un mécanisme d’aide d’Etat.
S’agissant des PPA, le consommateur conclut avec un producteur un contrat par lequel il lui livre tout ou partie de l’électricité produite par son ou ses installations de production, situées en France voire à l’étranger. D’une durée de quinze à vingt ans pour de nouvelles installations de production, ces contrats garantissent un prix de vente fixe déconnecté des marchés de gros. Le producteur peut ainsi financer son installation de production tandis que le consommateur réduit sa dépendance aux marchés.
Ces contrats sont parfois bipartites, mais plus souvent tripartites, avec un fournisseur qui agrège la production, assure l’équilibrage des sites de production et de consommation et livre le complément de fourniture. A partir du moment où producteur et consommateur sont liés, que la relation soit bipartite ou tripartite, on parle de « corporate PPA » (CPPA).
La longue durée de ces contrats présente un risque lié à la défaillance d’une partie et notamment du consommateur. Des CPPA plus réduits – trois à cinq ans – existent pour les installations amorties, en sortie de soutien public. Cependant, le contexte de prix actuel incite ces producteurs à vendre leur énergie sur les marchés de gros.
Le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables concerne notamment les CPPA et devrait permettre aux consommateurs de se regrouper afin d’acheter en commun de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, sur le modèle du contrat passé entre EDF et le consortium d’industriels Exeltium pour un approvisionnement long terme en base. Cela permettra de foisonner les consommations et de réduire le risque de défaillance qui fait parfois obstacle à la contractualisation de contrats d’achat d’énergie long terme.
3. Prospective.
La flambée des prix de l’électricité soulève de nombreux débats sur la conception ou la configuration du marché européen de l’électricité (« market design ») et notamment la construction du prix de gros par application du coût marginal de la dernière centrale appelée.
Les pays de la péninsule ibérique ont ainsi obtenu une dérogation en raison de leur isolation relative qui ne leur permet pas de se reposer sur les interconnexions électriques pour limiter la hausse des prix. Le Gouvernement français a également évoqué cette solution pour atténuer les prix de gros. La Présidente de la Commission européenne, Madame Ursula von der Leyen, a affirmé le 8 juin en réponse à une question d’un parlementaire européen, que le marché européen de l’électricité ne fonctionnait plus. Elle a annoncé le 29 août qu’une intervention d’urgence et une réforme structurelle étaient en préparation, sans toutefois préciser leur temporalité.
Quelle que soit la réforme qui sera mise en œuvre, dont on ne connaît à ce stade ni les délais ni le contenu, elle ne résoudra pas le déséquilibre offre-demande et le risque d’indisponibilité qui en découle. Pour cela, à moins d’une détente géopolitique, les outils disponibles sont l’incitation à la diminution – voire le rationnement – de la demande et l’accroissement de l’offre. Agir sur l’offre n’a toutefois qu’un effet principalement à moyen ou long terme.
4. Quid du gaz ?
Bien que cet article soit consacré à l’électricité, on ne peut pas faire abstraction de la hausse du prix du gaz naturel. Les ménages et les petits consommateurs professionnels sont moins protégés que dans le secteur électrique puisqu’ils ne peuvent pas revenir aux tarifs réglementés de vente protégés – pour l’instant – par le bouclier tarifaire. Au demeurant, les tarifs réglementés demeurés en vigueur expireront le 30 juin 2023.
Face aux difficultés d’approvisionnement en gaz naturel, le biométhane se développe. Sa production demeure marginale à ce stade, mais elle augmentera dans les années et décennies à venir. Cela devrait favoriser l’émergence de contrats long terme sur le modèle des PPA : les GPA (« gas purchase agreements »).
Enfin, un règlement européen prévoit deux niveaux de contraintes pour la réduction de 15 % de la consommation de gaz naturel par les Etats membres, au cours de la période allant du 1er août 2022 au 31 mars 2023, par rapport aux cinq années précédentes. Si néanmoins l’offre ne permettait pas de répondre à la demande, un délestage aurait lieu par catégorie de clients, conformément au plan d’urgence gaz.
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