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Modification rétroactive des aides d'Etat accordées à la production d'énergie

Dans une décision n° 440628 du 23 novembre 2022, le Conseil d’Etat a considéré que la procédure d’amélioration des offres des développeurs de projets de parcs éoliens en mer, postérieurement à leur désignation, n’était pas contraire aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats.

Quelques enseignements peuvent être tirés de cette décision alors que le pilotage de la politique énergétique conduit parfois à la modification rétroactive du niveau, dans un sens ou dans l’autre, d’aides d’Etat souvent accordées après mise en concurrence.

Cadre juridique.

Les aides d’Etat à la production d’énergie sont accordées soit sur simple demande pour les parcs dont la puissance est plus faible si l’installation satisfait aux critères fixés par arrêtés tarifaires – le guichet ouvert – soit après procédure de mise en concurrence pour les autres installations de production.

La mise en concurrence ne relève pas du code de la commande publique car elle ne répond pas à un besoin de l’Etat – au sens où on l’entend dans ce code – mais vise à octroyer des aides proportionnées et non discriminatoires.

Le cadre juridique de la sélection des installations de production d’électricité bénéficiant des mécanismes d’obligation d’achat ou de complément de rémunération résultait initialement, en droit européen, de l’article 6 de la directive 96/92 du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, de l’article 7 de la directive 2003/54 du 26 juin 2003 puis de l’article 8 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 ayant le même objet. Ces directives ne sont plus en vigueur.

La directive 2019/944 du 5 juin 2019 actuellement applicable ne contient plus de dispositions prévoyant ces obligations de transparence et de non-discrimination. Les conditions d’octroi de ces aides d’Etat ont été d’abord détaillées à la section 3.3 des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020. Elles figurent aujourd’hui à la section 4.1 des lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour 2022.

En droit interne, le cadre juridique est posé par les articles L. 311-10 et suivants du code de l’énergie. Ils prévoient une procédure d’appel d’offres, ainsi qu’une procédure de dialogue concurrentiel mise en place en 2016 et jusqu’à présent uniquement utilisée pour l’éolien en mer. Un cadre juridique équivalent existe pour la production de biogaz.

Contexte.

Les six projets de parcs éoliens en mer attribués en 2012 et 2014 ont été fortement retardés en raison de recours de tiers, lorsque le Conseil d’Etat n’avait pas encore compétence en premier et dernier ressort pour statuer sur ces contentieux.

Le Gouvernement avait introduit un amendement visant à réduire les aides accordées pour la construction et l’exploitation de ces parcs en prenant en compte les améliorations technologiques et les économies d’échelle intervenues dans l’intervalle – relativement modérées en France, ces premiers parcs tendant à construire une filière nationale alors inexistante. Les dispositions finales figurent aux paragraphes III et IV de l’article 58 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance.

Le paragraphe IIII permet, dès lors que le contrat d’achat de l’électricité n’a pas été conclu, « au candidat retenu d’améliorer son offre, notamment en diminuant le montant du tarif d’achat, en modifiant les modalités de révision ou de versement de ce tarif ou en réduisant la puissance de l’installation, le cas échéant par dérogation à certaines dispositions du cahier des charges ».

Le paragraphe IV permet d’abroger par décret les décisions de désignation des lauréats, sans motif mais sous réserve de l’indemnisation des coûts raisonnables. Implicitement, les lauréats qui n’amélioraient pas leur offre – c’est-à-dire qui ne parvenaient pas à réduire le niveau de l’aide d’Etat initialement prévue – se verraient ainsi retirer la réalisation de leurs projets.

Les trois lauréats des six projets ont amélioré leurs offres et les décisions de désignation n’ont pas été abrogées. L’association Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu a toutefois demandé l’abrogation de plusieurs décisions relatives au parc des îles d’Yeu et de Noirmoutier, dont celle du ministre chargé de l’énergie acceptant l’offre améliorée du lauréat.

Portée de la décision.

Le Conseil d’Etat n’a pas statué sur l’intérêt à agir de l’association requérante, douteuse s’agissant de la décision d’acceptation de l’offre améliorée (voir par exemple, s’agissant de la décision de désignation du lauréat : CE, Gardez les Caps et autres, 24 juillet 2019, n° 418846, point 6), afin de rejeter la requête au fond. La mise en œuvre de cette technique contentieuse est salutaire car elle éclaire les pouvoirs publics et les opérateurs économiques sur la légalité de la modification du niveau de rémunération de projets désignés après mise en concurrence en application du code de l’énergie.

La Haute juridiction administrative a ainsi considéré que la procédure prévue au paragraphe III de l’article 58 de la loi susmentionnée, « est justifiée par des motifs d’intérêt général et permet notamment de tenir compte de l’évolution des conditions économiques d’exploitation des parcs éoliens en mer, en diminuant par exemple le tarif d’achat de l’électricité ainsi produite et en évitant que, compte tenu de cette évolution, la société exploitante ne perçoive une rémunération excessive ».

Dès lors, cette « procédure d’amélioration de l’offre du candidat, qui intervient en aval de l’appel d’offres permettant de départager les candidats selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire, et qui a permis au cas d’espèce de tenir compte de l’évolution des conditions économiques d’exploitation des parcs éoliens en mer pour diminuer le tarif d’achat de l’électricité ainsi produite, ne porte par elle-même aucune atteinte aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats ».

Il ressort donc de cette décision que la modification à la baisse, avec l’accord du lauréat, des aides d’Etat avec obligation d’achat – et, par analogie, avec complément de rémunération – n’est pas contraire aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats alors même que cette modification intervient après l’aboutissement de la procédure de mise en concurrence.

Autres modifications rétroactives du niveau des aides d’Etat aux installations de production d’énergie.

Le cas des parcs éoliens en mer n’est pas isolé.

Le niveau de rémunération prévu pour les arrêtés tarifaires S06 et S10 en guichet ouvert a été remis en cause, cette fois-ci alors que les contrats d’achat étaient déjà signés et les installations en exploitation, à la différence du cas de l’éolien en mer. Si le Conseil constitutionnel a statué, ce n’est pas encore le cas des juridictions administratives.

Plus récemment, le déplafonnement des versements des primes négatives est appliqué à des contrats de complément de rémunération signés et entrés en vigueur. Cela limite la rémunération des producteurs sur le marché, d’une manière qui n’était pas prévue lors de la demande de contrat en guichet ouvert ou de la soumission d’une offre dans le cadre d’un appel d’offres.

Dans le même temps, à l’inverse, la formule d’indexation de la rémunération de projets en obligation d’achat et en complément de rémunération, en guichet ouvert ou attribués après mise en concurrence, a été revue à la hausse ou le sera dans les prochains mois. Cela vise à prendre en compte une inflation galopante qui aurait pu conduire nombre de développeurs à abandonner des projets qui n’étaient plus économiquement viables en raison d’un tarif devenu trop faible.

Plusieurs questions ne sont pas réglées par la décision du Conseil d’Etat commentée. Quid de la légalité d’une décision diminuant sans l’accord du lauréat le niveau de rémunération convenu pour la construction et l’exploitation d’un actif ? D’une décision qui augmente ce niveau de rémunération afin de faire face à des circonstances imprévues qui remettent en cause l’équilibre économique du projet attribué ?

Ces sujets nécessitent de combiner deux approches.

D’une part, on peut faire appel aux conceptions européennes de confiance légitime et d’espérance légitime, ainsi qu’à la conception française de la sécurité juridique. Il s’agit d’une approche pragmatique, fondée sur les circonstances de l’espèce, les attentes des opérateurs économiques de bonne foi, le degré d’engagement de l’Etat et les obligations juridiques conclues – décision de désignation, signature d’un contrat d’achat ou de complément de rémunération.

D’autre part, le droit de la commande publique regorge d’exemples de modifications unilatérales et de révisions de prix pour faire face à des situations d’imprévision impactant les attributaires. Cependant, les procédures de mise en concurrence du code de l’énergie ne relèvent pas de ce droit, dont les solutions certes inspirantes ne sont pas systématiquement transposables au cadre spécifique mis en place pour la sélection de bénéficiaires d’aides à la production d’électricité, qui est guidé par les principes de proportionnalité et de nécessité des aides d’Etat.

Cette décision, bien qu’éclairante sur un aspect, ne donne donc qu’un aperçu des problématiques que soulève la modification rétroactive du niveau des aides d’Etat aux actifs énergétiques, alors que de multiples révisions tarifaires sont intervenues ces dernières années.

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