Dans une communication du 6 février 2024, la Commission européenne a fait part de son ambition d’une gestion industrielle du carbone à l’échelle européenne.
Ce texte aborde le captage, la valorisation et le stockage de dioxyde de carbone (CCUS pour carbon capture, utilisation and storage) sous ses angles technologique, industriel et climatique. L’exécutif européen y partage aussi ses projets de régulation du secteur.
1. Cadre juridique existant.
Au niveau européen, le stockage géologique de CO2 fait l’objet d’un texte dédié, la directive 2009/31/CE du 23 avril 2009, qui traite aussi marginalement du transport de CO2. L’activité de stockage relève aussi de la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale ; elle entre également dans le champ d’application de la directive 2003/87/EC du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SEQE).
La directive du 23 avril 2009 prévoit que les Etats membres sont libres de déterminer les parties de leur territoire ouvertes au stockage géologique de CO2. La recherche et l’exploitation de ces sites sont cependant soumis à un régime d’autorisation préalable. L’exploitant doit au demeurant délivrer une garantie financière – ou les Etats peuvent prévoit un équivalent – afin de couvrir ses obligations pour l’ensemble des périodes mentionnées ci-après.
La directive impose aux Etats de prévoir diverses obligations applicables aux périodes d’exploitation, de fermeture et de « postfermeture » des sites de stockage géologique.
En phase d’exploitation, des dispositions concernent la composition des flux de CO2 stockés, la surveillance des sites, la communication d’informations aux autorités ou encore la mise en place de mesures correctives en cas de fuite ou d’irrégularité notable.
La fermeture est soumise au respect des conditions prévues au permis d’exploitation à cet effet ou bien à la décision de l’autorité administrative. L’exploitant procède au scellement du site de stockage et au démontage des installations d’injection.
Surtout, l’exploitant demeure responsable des obligations suivante après la fermeture du site, pour une durée minimale de 20 ans suivant la fermeture de l’exploitation : surveillance, communication d’informations, mesures correctives et restitution de quotas en cas de fuite. Cette dernière responsabilité fait porter sur l’exploitant un risque variable significatif, lié au prix d’échange des quotas de CO2 dans le cadre du SEQE.
A l’issue de la période de « postfermeture », la responsabilité du site est transférée à l’Etat sous conditions et sur décision de l’autorité administrative. A cette date, l’exploitant apporte une contribution financière, qui couvre a minima le coût des obligations de surveillance incombant à l’Etat pendant les 30 années suivants ce transfert, voire le coût de maintien d’un parfait confinement si l’Etat le décide.
Enfin, la directive prévoit un régime de régulation souple des infrastructures de transport et de stockage géologique. Elle se borne à garantir un accès transparent et non-discriminatoire à ces infrastructures, dans les conditions fixées en droit interne et avec des motifs de refus plus larges qu’observé dans la régulation des infrastructures énergétiques. Aucune régulation tarifaire n’est au demeurant prévue.
La Commission européenne a adopté quatre ligne directrices afin de guider les Etats membres et les opérateurs dans la mise en œuvre de cette directive. Les trois avis rendus par la Commission européenne sur les projets d’autorisation de stockage géologique sont accessibles sur la même page. Il s’agit de ressources utiles aux opérateurs pour évaluer les exigences nécessaires à l’obtention de l’autorisation de stockage.
En droit interne, le stockage géologique de CO2 – et plus marginalement son transport – sont principalement régis par le code de l’environnement et le code minier.
D’une part, ces activités sont soumises à un régime d’autorisation environnementale. Ainsi, les articles L. 229-27 et suivants, R. 229-57 et suivants du code de l’environnement, réglementent la recherche de stockage géologique de CO2, tandis que les articles L. 229-32 et suivants, R. 229-64 et suivants de ce code régissent leur exploitation par un régime proche de l’autorisation d’exploitation d’installations classées pour la protection de l’environnement. On notera que la période de « postfermeture » est fixée en droit français à 30 ans soit au-delà de la durée minimale de 20 ans prévue dans la directive.
D’autre part, les dispositions susmentionnées du code de l’environnement effectuent aussi de nombreux renvois au régime légal des mines figurant au livre 1er du code minier, mettant notamment en place un régime concessif pour l’exploitation de sites de stockage souterrain de CO2, qui se cumule avec le régime d’autorisation environnementale. Une vigilance particulière est ici nécessaire dans l’analyse du régime juridique puisque la réforme du code minier n’est pas encore achevée bien que profondément entamée.
Enfin, on relèvera que le stockage souterrain de CO2 en vue de son usage industriel est soumis à un régime différent des dispositions susmentionnées. Il s’agit du régime légal des stockages souterrains figurant aux articles L. 211-1 et suivants du code minier, qui s’applique notamment au stockage souterrain de gaz naturel.
2. Les projets de la Commission européenne.
Dans sa communication du 6 février 2024, la Commission européenne envisage d’accroître l’intégration européenne du secteur, y compris la régulation de ses infrastructures.
S’agissant du transport, la Commission considère que « Des infrastructures de transport sont nécessaires pour créer un marché unique du CO2 en Europe. Le développement d’infrastructures de transport et de stockage de CO2 non discriminatoires, librement accessibles, transparentes, multimodales et transfrontières nécessite une coordination tout au long de la chaîne de valeur, une transparence des contrats et des prix et une délivrance des autorisations en temps utile. »
Elle envisage dès lors de proposer « un mécanisme de planification des infrastructures de transport de CO2 à l’échelle de l’UE » ainsi que « des règles de comptabilisation des émissions dans le cadre du SEQE de l’UE ».
Elle annonce aussi « entamer dès 2024 des travaux préparatoires en vue d’une proposition sur un éventuel futur paquet de mesures réglementaires relatif au transport du CO2. Les aspects pris en considération comprendront la structure du marché et des coûts, l’intégration et la planification transfrontières, l’harmonisation technique et les incitations à l’investissement dans de nouvelles infrastructures, l’accès des tiers, les autorités réglementaires compétentes, la réglementation des tarifs et les modèles de propriété ».
Le paquet de mesures envisagé rappelle les travaux en cours dans le cadre du paquet portant sur la décarbonation des marchés du gaz et la création du marché de l’hydrogène, proposé en décembre 2021 et ayant fait l’objet d’un accord provisoire en décembre 2023. Ce paquet est lui-même fortement inspiré de la régulation existante des secteurs du gaz naturel et de l’électricité : accès transparent et non-discriminatoire, régulation tarifaire et transparence contractuelle, modèles de propriété (ownership unbundling…).
S’agissant du stockage, la Commission envisage « d’élaborer d’ici à 2025, avec les États membres, des orientations étape par étape pour les procédures d’autorisation de projets de stockage de CO2 stratégiques «zéro net», notamment en ce qui concerne :
- le transfert de responsabilité des opérateurs aux autorités compétentes et les exigences correspondantes en matière de garantie financière et de mécanismes financiers ;
- la transparence sur les exigences en matière d’autorisation et les approches fondées sur le risque afin de faciliter les décisions d’investissement finales des opérateurs de stockage ».
Ces mesures visent à mieux circonscrire les risques importants de l’activité de stockage géologique de CO2, à défaut de quoi peu d’infrastructures pourraient voir le jour.
Perspective française. Sans attendre la récente communication de la Commission européenne, la France avait lancé en 2023 une consultation sur la stratégie nationale CCUS. Celle-ci mentionnait notamment un soutien par contrats d’écart compensatoire appliqués au carbone (carbon contracts for difference ou CCfD). Un cadre de régulation des infrastructures par la Commission de régulation de l’énergie était aussi envisagé dans le projet soumis à consultation, ainsi qu’une garantie de l’Etat pour couvrir le risque lié au volume de CO2 stocké.
Aucun site de stockage géologique de CO2 n’est actuellement exploité en France bien que le rapport des autorités nationales à la Commission européenne sur la mise en œuvre de cette directive mentionne plusieurs projets envisagés.
3. Ressources extra-juridiques sur le CCUS.
Une documentation significative est disponible en ligne sur les aspects extra-juridiques des activités CCUS, concernant notamment leur pertinence et leurs limites.
On peut citer le rapport 2022 du GIEC (point C.4.6 du résumé aux décideurs ; point 4.2.5.4 du rapport complet, notamment), la librairie de l’ADEME (en particulier les décryptages de 2021 sur le CCU et le CSC), ou encore l’avis du Haut conseil pour le climat sur la stratégie française présentée en 2023.
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