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Contentieux administratif intéressant le secteur de l’énergie – Décembre 2021

La publication des feuilles roses du Conseil d’Etat de la première quinzaine de décembre 2021 est l’occasion de revenir sur deux décisions intéressant le secteur de l’énergie. La première concerne l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) ; la seconde les redevances pour l’occupation du domaine public par les réseaux de distribution et de transport d’énergie.

Conseil d’Etat, Chambres réunies, 10 décembre 2021, SAS Hydroption, n° 439944

Contexte. Alors que la flambée des prix de gros de l’énergie a occupé l’essentiel de l’actualité du secteur de la seconde moitié de l’année 2021, cette décision du Conseil d’Etat rappelle à nos mémoires la chute de ces prix lors des premiers mois de la pandémie de COVID-19. Le fort ralentissement de l’activité économique lors du premier confinement avait en effet entraîné une baisse des prix de gros de l’énergie, s’accompagnant de nombreux épisodes de prix négatifs.

Certains fournisseurs d’électricité avaient tenté de mettre en œuvre la clause de force majeure des accords-cadres les liant à EDF pour l’ARENH, afin de suspendre les achats d’électricité dont ils bénéficiaient en application de ces contrats. Le prix de 42 €/MWh fixé par un arrêté interministériel du 17 mai 2011 pour l’achat de cette énergie était en effet devenu sensiblement supérieur à ceux des marchés de gros à partir de mars 2020.

Saga contentieuse. S’en était suivi un contentieux abondant entre fournisseurs alternatifs, EDF en sa qualité de vendeur obligé d’électricité nucléaire historique, et la Commission de régulation de l’énergie (CRE). EDF et la CRE considéraient en effet que les conditions de la force majeure n’étaient pas réunies. Le juge des référés du tribunal de commerce de Paris (ordonnances des 20, 26 et 27 mai 2020) et de la Cour d’appel de Paris (arrêt du 28 juillet 2020) donnèrent raison à la plupart des fournisseurs alternatifs en cause (étaient concernés Total Direct Energie, Alpiq, Vattenfall et deux sociétés du groupe Gazel). Un autre contentieux – sur la résiliation par EDF des accords-cadres suspendus –  avait en revanche eu une issue favorable à EDF (CA Paris, 19 novembre 2020, Total Direct Energie c/ EDF).

Le juge des référés du Conseil d’Etat avait également pris part à cette saga contentieuse en statuant (CE, AFIEG et ANODE, 17 avril 2020, n° 439949) sur une demande de suspension des effets de la délibération n° 2020-071 du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d’électricité et de gaz naturel. Bien que la prise de position de la CRE sur la notion de force majeure du modèle d’accord-cadre ait été soumise au juge des référés dans cette instance, ce dernier avait considéré que la condition d’urgence, nécessaire à la suspension d’une décision administrative, n’était pas satisfaite ; la légalité de la décision du régulateur n’avait donc pas été tranchée.  

C’est finalement dans la décision commentée du 10 décembre 2021 que la Haute juridiction administrative se prononce au fond, sur l’interprétation de la notion de force majeure figurant dans le modèle d’accord-cadre pour l’ARENH à la date de la même délibération du 26 mars 2020, attaquée par la société Hydroption.

La force majeure. L’article 10 de ce modèle, dans sa version figurant en annexe de l’arrêté du 12 mars 2019 portant modification de l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, définissait ainsi la force majeure : « un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Le régulateur de l’énergie avait estimé opportun, dans la délibération attaquée, de donner son interprétation en  considérant que « la force majeure ne trouverait à s’appliquer que si l’acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation de paiement de l’ARENH ». La CRE avait dès lors refusé de transmettre à RTE l’évolution des volumes d’ARENH livrés par EDF aux fournisseurs alternatifs demandant la suspension de l’accord-cadre.

La décision du juge administratif. Après avoir rappelé les conditions de recevabilité des recours en excès de pouvoir dirigés contre les actes de droit souple, issues de sa jurisprudence (CE, Ass. 21 mars 2016, Société Fairvesta International GmbH et autres, nos 368082, 368083 et 368084 ; CE, Ass. 21 mars 2016, Société NC Numericable, n° 390023 ; voir également, dans le secteur de l’énergie : CE, Sect. 13 juillet 2016, Société GDF-Suez, n° 388150), le Conseil d’Etat a considéré que la décision de la CRE avait pu influer significativement le comportement d’EDF et des fournisseurs ayant conclu un accord-cadre pour l’ARENH. La circonstance que les juridictions saisies des contentieux n’auraient pu se sentir liées par cette prise de position du régulateur, a été sans incidence.

Le Conseil d’Etat n’a ensuite pu que constater que l’interprétation du régulateur était plus restrictive que la clause du modèle d’accord-cadre, l’impossibilité d’exécution n’étant pas « totale » mais dépendant du caractère déraisonnable des conditions économiques. La délibération est donc annulée en tant qu’elle ajoute à la définition de la force majeure prévue au modèle.

Portée limitée et incertitudes persistantes. On relèvera cependant que le modèle d’accord-cadre a été modifié par arrêté du 12 février 2021, à l’initiative de la CRE (délibération n° 2020-315 du 17 décembre 2020) ; son article 10 prévoit une nouvelle définition de la force majeure, déliée de la souplesse qui résultait de l’appréciation économique de la situation de l’acheteur d’ARENH : « un événement extérieur à la Partie qui l’invoque, irrésistible et imprévisible et qui empêche l’exécution de son obligation ». Cette modification s’applique aux accords-cadres en cours.

On ne peut que s’interroger sur la pertinence d’une nouvelle définition sui generis de la force majeure dans le modèle d’accord-cadre, qui la rapproche certes de celle figurant à l’article 1218 du code civil – « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » – sans toutefois la reprendre exactement ni s’y référer. S’agissant d’accords-cadres de droit privé, la définition figurant au modèle, sans doute plus proche de la doctrine administrativiste que de la définition issue de la réforme du droit des contrats, risque donc d’entraîner de nouvelles difficultés d’interprétation d’une notion déjà fortement sujette à contentieux.

Conseil d’Etat, Chambres réunies, 10 décembre 2021, Communauté urbaine Creusot-Montceau, n° 445108

Cette seconde décision concerne l’articulation des compétences concurrentes des communes et des  établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour l’application de redevances dues en raison de l’occupation du domaine public par les ouvrages de transport et de distribution d’énergie.

L’occupation privative du domaine public donne lieu au versement de redevances à son gestionnaire. S’agissant de l’occupation du domaine public communal par les ouvrages de transport et de distribution d’énergie, l’article L. 2333-84 du code général des collectivités territoriales (CGCT) renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer le régime de ces redevances. Celui applicable à l’acheminement d’énergie électrique est notamment précisé à l’article R. 2333-105 de ce code, qui prévoit un plafond de redevances progressif selon la population communale.

Si ces dispositions sont transposables aux EPCI par application de l’article L. 5211-36 de ce code, l’articulation des redevances et plus particulièrement l’application du plafonnement prévu dans la partie réglementaire du code faisaient débat.

Il ressort de la décision commentée que lorsque le domaine public d’une commune a été mis à disposition d’un EPCI, ces deux personnes publiques peuvent instituer des redevances pour l’occupation domaniale par les ouvrages de distribution et de transport d’énergie, dans la limite du plafond commun prévu à l’article R. 2333-105 du CGCT.

Concrètement, la juridiction administrative considère que le plafond doit être réparti « au prorata de l’occupation par ces réseaux de leur domaine public respectif » c’est-à-dire, s’agissant de l’occupation permanente du domaine public, « au prorata de la longueur des réseaux installés sur ce domaine public par rapport à la longueur totale des réseaux installés sur le territoire de la commune concernée ».

Le Conseil d’Etat considère au demeurant que cette règle s’applique également en cas de transfert de propriété – et non seulement de « mise à disposition » – du domaine public à l’EPCI, seule la qualité de gestionnaire du domaine étant déterminante.

Cette décision est transposable aux réseaux de gaz naturel dès lors que les dispositions sont similaires, étant toutefois précisé que le plafond résultant de l’occupation permanente du domaine public par ces réseaux, fixé à l’article R. 2333-114 du CGCT, n’est pas progressif.

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