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Post-ARENH : regards croisés d’avocats en fiscalité et en énergie

Le présent article porte sur la réforme « post-ARENH » issue de la loi de finances pour 2025, qui prévoit un dispositif de partage des revenus du nucléaire historique. Après avoir rappelé le contexte et les enjeux de la régulation du nucléaire historique, nous décrirons le dispositif fiscal qui se substitue à l’ARENH, avant de livrer quelques réflexions sur cette réforme.

L’article est co-écrit par Maeva Rancœur, avocate intervenant en droit douanier et fiscal, et Marc Devedeix, avocat intervenant en droit de l’énergie.

I – Contexte et enjeux

La libéralisation du secteur de l’électricité en Europe a signifié, pour la France, le passage d’un marché de l’électricité sous quasi-monopole d’Etat à une concurrence sur la production et la fourniture (le transport et la distribution continuent d’être régis dans le cadre de monopoles, respectivement nationaux et locaux). Afin de permettre à la concurrence d’émerger sur la fourniture alors que les nouveaux opérateurs ne disposaient pas de capacités de production, les autorités ont successivement mis en place plusieurs dispositifs de régulation asymétrique.

En premier lieu, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières avait créé le Tarif Réglementé Transitoire d’Ajustement du Marché (TaRTAM). Ce dispositif en place du 5 janvier 2007 au 30 juin 2011 permettait aux fournisseurs alimentant certaines catégories de clients ouvertes à la concurrence, de bénéficier d’une compensation d’une partie de leurs coûts d’approvisionnement, s’ils démontraient que ceux-ci excédaient le prix garanti par le TaRTAM. L’objectif était de permettre aux clients ayant basculé dans la concurrence, de ne pas se retrouver lésés en cas de hausse des prix de marché.

En deuxième lieu, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi « NOME ») a créé le dispositif d’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH) avec l’aval de la Commission européenne (par échange de lettres), sur proposition de la commission « Champsaur ».

L’ARENH, dont la date d’expiration est fixée au 31 décembre 2025, consiste en la mise à disposition, par EDF aux fournisseurs alternatifs, d’un volume annuel d’électricité sous forme d’option d’achat, plafonné à 100 térawattheures (TWh). Les fournisseurs sollicitent un volume d’ARENH en fonction de leur portefeuille de clientèle – et de leurs prévisions d’augmentation de portefeuille dûment justifiées.

Si l’ARENH a permis dans une certaine mesure l’ouverture du marché de la fourniture d’électricité à la concurrence et la modération des prix d’approvisionnement des industriels auprès des fournisseurs alternatifs, les critiques formulées à son encontre sont diverses (voir le rapport réalisé pour le compte de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances 2025, pp. 54 et suivantes), notamment :

  • le plafond n’a pas évolué depuis sa création – à l’exception d’une hausse temporaire de 20 TWh en 2022 –, ne reflétant plus les besoins des clients des fournisseurs alternatifs. Cette situation a entraîné des écrêtements qui ont renchéri le coût d’approvisionnement de ces fournisseurs– en général répercuté sur leurs clients – ainsi que les tarifs réglementés de vente afin d’assurer leur contestabilité ;
  • le tarif, de 42 euros par mégawattheure (€/MWh), n’a pas évolué depuis 2012 : il est désormais éloigné des coûts du nucléaire historique ;
  • la souscription d’ARENH est optionnelle, permettant aux fournisseurs alternatifs d’arbitrer entre tarif de l’ARENH et prix de marché, sans qu’EDF soit certaine de couvrir les coûts de production du nucléaire historique;
  • le développement d’installations de production par les fournisseurs alternatifs n’étant pas imposé, seule une partie d’entre eux s’y est astreinte, conduisant les autres à subir l’expiration de l’ARENH ;
  • l’ARENH a structurellement permis un arbitrage horo-saisonnier, dont l’exploitation par une minorité de fournisseurs est considérée comme abusive et sanctionnée par le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

En dernier lieu, la loi de finances pour 2025 a fixé le cadre tant attendu du « post-ARENH ». Il s’agit du dispositif fiscal et du « versement nucléaire universel » décrits ci-après.

II – Le nouveau dispositif de partage des revenus du nucléaire historique

L’article 17 de la loi de finances pour 2025 introduit un nouveau mécanisme de partage des revenus issus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques, en remplacement de l’ARENH. Par « historique », le législateur inclut aussi l’EPR Flamanville 3, contrairement à l’ARENH. Ce dispositif repose sur un prélèvement ciblé des revenus de la production électronucléaire et vise à répercuter ces montants sous forme d’une réduction de prix appliquée directement sur les factures d’électricité des consommateurs finals, via un mécanisme encadré par la CRE.

1. Volet fiscal : la création d’une taxe sur l’utilisation du combustible nucléaire

La création de ce prélèvement sera intégrée dans le Code des Impositions sur les Biens et les Services (CIBS) au sein du nouveau titre II “Taxes ne relevant pas du régime général d’accises” du Livre III. Le mécanisme repose sur un prélèvement fiscal appliqué aux revenus tirés par EDF de l’exploitation de son parc nucléaire historique, qui s’appliquera lorsque ces revenus excéderont un seuil de taxation déterminé par voie réglementaire.

Conformément à l’article L. 322-72 du CIBS, le montant de la taxe reposera sur deux éléments principaux : i) sur les revenus imposables provenant de l’exploitation du parc nucléaire historique d’EDF, liés à l’utilisation de combustible nucléaire ainsi que sur ii) un seuil de taxation et un seuil d’écrêtement.

Par ailleurs, la taxation suivra une structure progressive définie comme suit (article L. 322-73 du CIBS) :

  • la fraction des revenus inférieure ou égale au seuil de taxation n’est pas imposée ;
  • la fraction des revenus supérieure au seuil de taxation et inférieure ou égale au seuil d’écrêtement est soumise à un taux de taxation de 50 % ;
  • la fraction des revenus supérieure au seuil d’écrêtement est taxée à 90 %.

A cet égard, il convient de noter que les revenus résultant de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques sont définis comme l’ensemble des transactions relatives à l’électricité et qui peuvent être imputés à l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité par ces centrales, i.e i) les achats et ventes d’électricité par l’exploitant des centrales électronucléaires historiques, ii) les gains ou les pertes de cet exploitant résultant d’instruments dérivés portant sur l’électricité, et iii) les contrats par lesquels cet exploitant met à la disposition d’une autre personne une capacité de production de ces centrales. Ils sont déterminés par année civile comme le solde de l’ensemble des transactions relatives à l’électricité réputée avoir été produite à partir de combustible nucléaire.

La détermination des seuils mentionnés ci-dessus reposera sur trois facteurs :

  • la quantité d’énergie contenue dans le combustible nucléaire utilisé au cours de l’année civile ;
  • un coefficient de conversion affectant l’énergie susmentionnée, afin de déterminer l’énergie dégagée pour la production d’électricité en tenant compte de la déperdition d’énergie lors du processus de production ;
  • le tarif de taxation ou d’écrêtement applicable.

Les seuils de taxation et d’écrêtement seront fixés par périodes triennales par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé de l’énergie, après avis de la CRE. Ces tarifs seront fixés en tenant compte (i) du coût complet du nucléaire « historique », (ii) du coût de réalisation du nouveau nucléaire prévu dans la PPE et (iii) de « la situation financière » d’EDF. La loi prévoit cependant un tunnel de taxation :

  • le tarif de taxation doit être fixé entre un minimum égal aux coûts complets du nucléaire « historique » majorés de 5 €/MWh, et un maximum égal à ces mêmes coûts majorés de 25 €/MWh ;
  • le tarif d’écrêtement doit être fixé entre un minimum égal aux coûts complets du nucléaire « historique » majorés de 35 €/MWh, et un maximum égal à ces mêmes coûts majorés de 55 €/MWh.

Pour mémoire, dans un rapport du 27 juillet 2023, la CRE a évalué le coût complet du nucléaire existant – ou « historique » au sens de la loi (i.e. Flamanville 3 inclus) – à 60,7 €/MWh en euros 2022 (à actualiser selon l’inflation pour obtenir cette somme en euros courants) pour la période 2026-2030. L’accord d’octobre 2023 entre EDF et l’Etat prévoyait un seuil de taxation de 78 €/MWh et un seuil d’écrêtement de 110 €/MWh, en euros 2022, qui avaient été fortement critiqués par les associations de consommateurs et les industriels. En tenant compte de l’inflation – y compris de la prévision d’inflation pour les années à venir – les niveaux minimums du tarif de taxation et du tarif d’écrêtement semblent correspondre à peu de choses près aux seuils annoncés en 2023.

Enfin, il convient de noter que le fait générateur de la taxe est l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle est utilisé le combustible nucléaire pour la production d’électricité. Cette taxe est due par l’exploitant du parc nucléaire i.e. EDF.

2. Volet redistributif : la création d’un versement universel nucléaire

Les recettes issues de la taxe sur l’utilisation du combustible nucléaire seront exclusivement affectées à un mécanisme de réduction du prix de l’électricité, le « versement nucléaire universel », qui permettra aux consommateurs finals de bénéficier directement des retombées économiques du parc nucléaire historique.

Les fournisseurs devront ainsi appliquer une minoration de plein droit du prix de l’électricité sur les factures des consommateurs, sous l’égide de la CRE. Cette minoration résulte de l’application du tarif unitaire calculé par la CRE en fonction (i) des prévisions de recettes du prélèvement sur les revenus d’EDF, et (ii) d’un rattrapage lié à l’évaluation ex post des revenus d’EDF.

La minoration est d’ordre public, toute clause des contrats de fourniture y faisant obstacle ou en réduisant la valeur étant réputée non-écrite. Les factures devront distinguer la minoration du prix de fourniture, et inscrire une mention qui sera précisée par arrêté. Les manquements des fournisseurs à ces obligations seront sanctionnables.

Les fournisseurs seront compensés pour un montant égal aux minorations intégrées aux contrats de fourniture, selon des modalités qui seront précisées par décret. Il ne semble pas qu’ils soient compensés au titre de frais de gestion de la minoration.

3. Encadrement et contrôle du dispositif « post-ARENH »

Le contrôle de l’application du dispositif sera assuré par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) pour la collecte de la taxe et par la CRE qui évaluera ex ante et vérifiera ex post les revenus de la production nucléaire – rôle dont la sensibilité pour le bon fonctionnement du dispositif est soulignée par le Sénat –, analysera l’impact de la taxation sur les marchés de gros et s’assurera de la mise en œuvre par les fournisseurs de leurs obligations.

Enfin, des sanctions sont prévues en cas de non-respect du dispositif, incluant des amendes proportionnelles aux montants non déclarés ainsi que des sanctions administratives prononcées par le CoRDiS de la CRE. Le pouvoir de contrôle renforcé de la CRE et de l’administration fiscale leur permettra de vérifier la conformité des déclarations et d’imposer des rectifications en cas d’irrégularités.

III – Premières réflexions sur le nouveau dispositif

Le nucléaire historique continue donc de faire l’objet d’un traitement particulier hérité de la spécificité du parc de production français, encore très largement dominé par EDF. Le nouveau dispositif fiscal fait cependant écho à la réforme de la conception du marché européen adoptée en 2024, qui permet la mise en place d’un mécanisme de complément de rémunération national. Celui-ci prévoit (sur la réforme du market design européen, voir le mot du juriste du mensuel Europ’Energies de novembre 2023, écrit par Rémy Coin et Marc Devedeix) :

  • une compensation des producteurs soutenus lorsque les revenus de marché sont inférieurs aux tarifs de référence garantis ; et
  • une redistribution aux consommateurs ou pour des projets d’efficacité énergétique ou en faveur des énergies bas carbone, lorsque les revenus de marché sont supérieurs à ces tarifs de référence.

Dans le dispositif post-ARENH, seul le second volet du dispositif européen est donc repris. Il n’y a dès lors pas d’aides d’Etat – dont EDF craignait, sans que ce fondement ne soit véritablement justifié au regard des informations publiquement disponibles, qu’elles conduisent à des réformes structurelles du groupe en raison de sa position dominante. Il en résulte que les revenus d’EDF sont garantis uniquement lorsque les prix de marché sont élevés (et non en cas de prix bas) et les recettes excédant le coût du nucléaire historique seront partagées entre le financement du nouveau nucléaire et la protection des consommateurs.

En cela, le dispositif post-ARENH ne satisfait probablement personne, les intérêts étant divergents, ce qui pourrait nourrir des contentieux (d’autant plus que la fixation des seuils doit prendre en compte le critère peu explicite de la « situation financière » d’EDF) :

  • les associations de consommateurs et industriels considèreront sans doute que les tarifs – même à leur niveau minimum et plus encore s’ils les excèdent – seront trop élevés pour assurer un prix de l’électricité abordable ou une protection efficace contre l’évolution des prix de marché ;
  • EDF regrettera sans doute de ne pas bénéficier d’un revenu plancher. EDF pourrait aussi considérer que les tarifs de taxation ou d’écrêtement, selon le niveau prévu par arrêté, ne couvrent pas le coût complet du nucléaire historique, le coût de réalisation du nouveau nucléaire ou ne sont pas acceptables au regard de sa situation financière.

Cela explique que le Sénat recommande d’explorer la mise en œuvre – après 2026 – d’un dispositif de complément de rémunération dans le cadre européen pour financer le nouveau nucléaire ainsi que les investissements d’EDF dans le nucléaire historique.

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